La patrie Serbe

LA PATRIE SERBE 238)

fantômes vagabonds. La grêle meurtrière partait on ne savait d'où ; elle abattait quelques-uns des spectres transis. Les cadavres demeuraient sans sépulture, enfouis dans la neige qu'ils mordaient, ou fixaient l'espace de leurs prunelles vitreuses empreintes de la tristesse des nuages. Les blessés tamponnaient leurs plaies avec des débris de feuilles, découvertes sous la neige grattée par leurs doigts crispés; ils reprenaient ensuite leur trajet. Des cadavres par centaines gisaient, et comme les Albanais venaient voler leurs haïllons, ils étaient souvent nus et ressemblaient à des marbres mutilés, à des sfatues de martyrs arrachés par des vandales à l'abri des églises. La file des spectres titubants s’acheminait sans trêve ni repos... Beaucoup de ces spectres tombaient, se relevaient avec des gestes lents, ‘automatiques. Ils étaient nombreux ceux d'entreeux qui retombaient encore ayant accompli leur dernier effort: ils restaient alors accroupis ou étendus à attendre. Ils n’aftendraient pas longtemps. La grande consolatrice les prendrait bientôt. Déjà leur esprit ne se souvenait plus du foyer familial, [ls avaient oublié leur maison, leur sœur, leur épouse; ils pensaient seulement à leur enfance lointaine et appelaient leur mère qu ils croyaient apercevoir penchée sur leur berceau. La paralysie clouait leurs mains, leurs bras, leurs jambes, allongeait son enlacement de pieuvre. Les Serbes, ivres de souifrance, s’égrenaient dans la solitude ennemie. La procession s'étirait, perdue au sein des brumes blafardes.….

Un officier avançait parmi la foule ; ses cheveux, sa moustache avaient la couleur de toute cette neige, sa mince silhouette se courbait un peu. Il s’appuyait sur une grosse branche. Son regard se perdait en d’incommensurables lointains Une divine sérénité rayonnait autour de lui, car il apercevait lavenir glorieux prêt à