La Serbie

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JOURNAL

L'Autriche-Hongrie et les Alliés

Prix du numéro: 10 centimes

POLITIQUE MEB

Paraissant tous les Dimanches

Rédacteur en chef: D' Lazar Markovié, professeur à l'Université de Belgrade

Les Austro-Magyars triomphent. La guerre qui devait se terminer par la liquidation

‘totale de l'organisme artificiel de la Mo-

narchie, offre à l'heure actuelle un aspect bien étrange. À Brest-Litovsk, sous la présidence d’un vieux Turc, on discute la question de la Russie, tandis qu’en AutricheHongrie l’on fête le cinquantenaire du compromis austro-magyar. La Monarchie se prépare, après l'élimination de la seule puissance qui la gênait, à reprendre haleine et à continuer sa politique d’asservissement et de conquêtes. Les heures d'angoisse sont passées à Vienne et à Budapest, où l'esprit mensonger de conciliation a déjà fait place à l’arrogance habituelle. Pourquoi pas ? Le jeu qu’on a risqué d’abord avec la convocation du parlement et ensuite avec les Délégations, semble avoir réussi à merveille. L'Europe est restée insensible à toutes les déclarations et à toutes les révélations affreuses faites par les Slaves au parlement et aux Délégations. Une telle indifférence a renversé même les Germains et leurs compagnons austro-magyars. Quoi donc de plus naturel que de les voir aujourd’hui se moquer publiquement des aspirations les plus légitimes des peuples asservis ?

Les Yougoslaves, les Tchèques, les Polonais, les Ruthènes, avaient déclaré au par-

- lement qu’ils ne veulent plus tolérer la do-

mination germano-magyare et qu'ils n’ont qu’un seul désir: d'être affranchis de leurs maîtres actuels et de former des Etats nationaux indépendants. Les Alliés qui déclarent combattre pour la liberté de tous les peuples, ont accepté cette déclaration si solennelle avec une indifférence extraordinaire. Les députés slaves prononcèrent ensuite des réquisitoires sanglants contre la Monarchie, établissant qu’elle a traité ses sujets slaves comme des bêtes et qu'elle a par conséquent perdu tout droit moral de parler de sa prétendue mission civilisatrice. Et les Alliés? lis se défendent même de l'idée de vouloir se mêler des affaires intérieures de l’Autiiche-Hongrie et ils passent sous silence des atrocités que vraiment un tribunal international devrait juger.

En présence de cette attitude inconcevable, les Austro-Magyars sont devenus plus hardis. Ils ont résolu de convoquer aussi les Délégations, et lorsque les délégués slaves, avec un courage admirable, répétèrent leur demande de liberté et d'indépendance, on chargea Îles Magyars, Tisza et Andrassy, de répondre que la Monarchie ne connait pas de peuples et qu’elle ne permettra à personne de toucher au dualisme. Le comte Czernin et le chevalier Seidler ont répeté cette déclaration; et le discours du trône prononcé par l'empereur aux Délégations contient la même assurance. Les députés slaves ne se découragent pas; ils dénoncent publiquement la falsification du manifeste du gouvernement maximaliste russe, ils réclament l'envoi de délégués des nationalités à Brest-Litovsk et font tout leur possible pour empêcher la continuation de lPesclavage. Les Austro-Allemands les accusent de travailler pour l'Entente, mais l'Entente reste sourde. Elle n’a pas encore déclaré si elle est prête à donner aux Slaves d’Autriche-Hongrie l'indépendance politique. Les diplomates alliés parlent beaucoup des peuples et de leur droit de disposer d’eux-

formule en un programme politique concret. Les Slaves d’Autriche-Hongrie crient bien haut en réclamant la liberté et l'indépendance, et à toutes ces manifestations courageuses, aucune réponse des Alliés, aucun encouragement de persévérer, aucune promesse de secours. On pourrait presque dire le contraire en lisant les phrases ambiguës dont usent les hommes d'Etat alliés quand ils parlent de la question d’Autriche-Hongrie !

Comment expliquer cette attitude étrange? Nous savons fort bien que la puissance germanique n’est pas encore brisée et que sans la victoire complète on ne pourra pas tirer les Slaves des griffes germano-magyares. Mais nous ne comprenons pas pourquoi les Alliés ne veulent pas appeler aux armes et à la lutte contre les Germains ces mêmes peuples auxquels ils doivent, d’après les formules générales employées jusqu’à présent, rendre la liberté. Pourquoi les Alliés ne précisent-ils pas leurs buts de guerre en constatant formellement qu’ils veulent constituer une Pologne unie et indépendante, une Tchéco-Slovaquie indépendante, une Serbie indépendante et unie avec ses frères serbo-croato-slovènes de la Monarchie, une Roumanie unie avec ses frères d’Autriche-Hongrie ? Une déclaration pareille aurait un effet immense et couperait court aux équivoques. Les peuples d’Autriche-Hongrie sauraient alors que les Alliés leur apportent la liberté et redoubleraient d'énergie dans la lutte contre les oppresseurs. Même les déclarations récentes de Lloyd George et de Balfour sont trop vagues pour pouvoir produire l'effet désiré. Et puisque une fois le militarisme prussien abattu, les Alliés ne ménageront non plus lAutriche-Hongrie, ce pilier principal du germanisme, alors pourquoi ne pas dire en termes clairs, que la victoire alliée apportera la liberté et l'indépendance aux peuples slaves opprimés ? A Vienne et à Berlin on a l’impudence de disposer de la Serbie, de la Belgique et des autres pays envahis. Pourquoi donc aurait-on à Paris, à Londres et à Washington, une gêne à dire aux Tchèques ou aux Yougoslaves, par exemple, qu'ils auront leur Etat indépendant ?

Ou bien, veut-on, par hasard, conserver PAutriche-Hongrie, à tout prix, malgré l'opposition de ses peuples ? L. M.

Hommage suisse au pacifisme serbe

L'assemblée des délégués de la Société suisse de la paix, réunie à Olten, les 20 et 91 octobre 1917, a voté une résolution où:

« elle affirme que la doctrine pacifiste est basée essentiellement sur le principe de la paix par le droit et qu’une paix durable doit proclamer: le respect des traités, la liberté des peuples de disposer librement d’euxmêmes ;

« souhaite que la paix qui mettra fin à la guerre mondiale s'inspire de ces principes et les réalise, qu’elle libère les peuples qui, actuellement, souffrent sous la domination étrangère et réhabilite en particulier la Belgique violée ; :

« regrette que les propositions d'arbitrage faites par la Serbie et la Russie en juillet 1914 n’aient pas été acceptées.» En reproduisant ce passage de la résolution, nous constatons avec plaisir que, dans les pays neutres, les esprits indépendants ne se laissent pas embarrasser par le tapage austro-allemand de paix et soulignent le fait que ce sont les puissances centrales qui ont délibérément provoqué la guerre.

mêmes, mais ils n’ont pas traduit cette belle Î i

DOMADAIRE

Le mensonge de Sarajevo

Genève, Dimanche 30 Décembre 1917

E Suisse... 6 fr. — par an ABONNEMENT } 6

Autres pays. 9fr.— >»

Dans son discours aux Délégations, le comte Czernin, parlant de l'origine de la guerre, a formulé contre la Serbie, non seulement les anciennes éteusations que la Monarchie a utilisées pour son fameux ultimatum, mais il a fait encore un pas en avant. « L'attentat de Sarajevo, préparé et ourdi à la connaissance préalable (mit Vorwissen) des dirigeants à Belgrade, a mis la pierre en mouvement », a déclaré le comte Czernin. Ainsi, le ministre des affaires étrangères austro-hongrois accuse directement le gouvernement serbe d’avoir préparé le meurtre de Sarajevo, ce que, jusqu'à présent, aucun facteur responsable de la Monarchie n'avait osé faire. Même dans l’ultimatum de 1914, ni dans les pièces qui l'accompagnaient, pour le justifier, on ne trouve une accusation pareille. On pourrait supposer, par conséquent, que le comte Czernin se trouve en possession de nouveaux documents établissant d'une façon péremptoire la culpabilité du gouvernement serbe dans l’affaire de Sarajevo. Malgré toute notre curiosité de voir ces documents, nous ne les avons rencontrés nulle part. L’accusation du comte Czernin ne repose donc sur aucun nouveau fait. Elle n’est qu'une nouvelle édition, « revue et augmentée », de l'ancienne calomnie., Le comte Czernin fait évidemment fausse route en suivant ses prédécesseurs. S'il avait autour de lui des collaborateurs sincères, il saurait que le mensonge de Sarajevo est aujourd’hui presque éclairci et que la Monarchie a tout intérêt à n'y pas toucher.

En effet, après l'hypothèse de Steed, après les recherches de Jules Chopin, après les révélations de Bartulié-Beck, après la falsification des documents soi-disant retrouvés dans les archives de la municipalité de Belgrade (voir « La Serbie », n° 3, du 21 mai 1916), après Ja falsification et l'invention

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d'un personnage fictif, Dr Vojislav Belimarkovié, (voir « La Serbie », n° 3, ds 19 février 1917), après tout cela il n’y a que des imbéciles qui peuvent conseiller au ministre responsable de la Monarchie d'accuser le gouvernement serbe d’avoir ourdi le crime de Sarajevo. Nous ne voulons pas entreprendre de réfuter de nouveau cette calomnie, qui ne trouve d'ailleurs nulle part de crédit. Nous désirons seulement à recommander au comte Czernin et à ses conseillers, de lire un livre qu'ils estiment sans doute et dont l’auteur n’a pas beaucoup de sympathie pour les Serbes. C'est le livre de M. Jean Debrit: Et ce fut la guerre (Genève, Atar, 1917). M. Debrit est connu en Autriche, sa thèse est également connue, et ses jugements sur la Serbie et la politique serbe sont tous exprimés d’une façon qui doit vraiment surprendre chez le fils d’un petit peuple libre et désirant rester libre. Mais M. Debrit a eu aussi souci dela vérité,et lorsqu'il a dû répondre à la question formelle, qu’il s'était posée : oui ou non, le gouvernement serbe est-il, de près ou de loin, responsable de l'assassinat de l'archiduc-héritier ? il n'a pu conclure à la responsabilité du gouvernement serbe. « Le procès reste pendant à nos yeux ».— C'est ainsi que M. Debrit a formulé son jugement final, oubliant pourtant qu’aujourd’hui de tels procès ne peuvent rester pendants. Si l'Autriche n’a pu établir la culpabilité du gouvernement serbe, alors c’est à elle qu’il faut intenter le procès du crime de la guerre actuelle. M. Debrit n’a pu s'élever à cette hauteur, mais il n’est non plus tombé dans le piège des « documents » autrichiens. Et nous pouvons dire que Son Excellence le comte Czernin n’aurait pas prononcé des paroles dont il aura le temps de se repentir, s’il avait lu et consulté le livre de M. Debrit. R:

Les propositions allemandes

— Le piège de Brest-Litowsk —

En réponse aux conditions de paix-proposée par les délégués russes, la délégation des puissances centrales a déclaré que les lignes directrices de la proposition russe peuvent former une base discutable pour une paix générale et équitable. « Mais les gouvernements des puissances font remarquer expressément, poursuit la réponse des Centraux, que toutes les puissances participant actuellement à la guerre doivent s'engager dans un délai convenable à observer scrupuleusement sans exception et sans aucune réserve les conditions liant également tous les peuples, si l’on veut que les hypothèses exposées par la délégation russe se réalisent. »

Donc les Centraux acceptent les propositions russes en y ajoutant des restrictions qui rendent ces propositions purement illusoires. Ainsi la condition préalable à laquelle ils subordonnent tout le reste: la participation de tous les Alliés. Sachant très bien que les délégués russes ne sont pas mêmes les mandataires du peuple russe,

: encore moins des peuples alliés à la Rus-

sie, ils émettent leurs propositions sous la condition résolutoire, c’est-à-dire celle qui permet de résilier tout accord éventuel auquel ne participent pas aussi tous les Alliés de la Russie. La mauvaise foi germanique apparaît ici dans toute Sa nudité.

Quant aux six points proposés par les Russes comme base de discussion, les Austro-Allemands en répudient le plus important, celui qui concerne le droit des peuples de disposer de leur sort.

Voilà comment les Centraux conçoivent ce principe qui est la raison d’être de la proposition russe : |

« La question de l’appartenance politique des groupes nationaux ne possédant pas l'indépendance politique ne peut pas, de l'avis de la quadruple alliance, être réglée entre Etats: cas échéant elle doit être résolue librement par chaque Etat avec ses peuples par voie constitutionnelle. »

La paix « démocratique » telle que les Austro-Allemands l'offrent aux léninistes

russes, n’est donc qu’un piège. Mais ce qui suit est encore plus édifiant.

« De même, poursuit la réponse des Centraux, suivant les déclarations des hommes d'Etat de la Quadruplice, la protection du droit des minorités forme une partie essentielle du droit des peuples de disposer de leur sort. Les gouvernements alliés font partout valoir ce principe en tant qu’il paraît pratiquement ré alisable. »

Nous autres Serbes nous sommes à même de comprendre le mieux ce que cela va dire vu que c’est sur les différentes parties de notre peuple que les Austro-Allemands « ont fait valoir » jusqu'ici leur système «de protection » des minorités.

En ce qui concerne la question d’indemniser les pays dévastés et les dégâts causés par la guerre, les Austro-Allemands ne s'opposent point à ce que la Belgique, la Serbie, la France, la Roumanie et les autres pays dévastés s’indemnisent eux-mêmes. Et comme argument en faveur de cette solution unique on invoque la raison: « que les puissances alliées ont relevé à plusieurs reprises qu’il serait possible de renoncer réciproquement à ces indemnités ! »

Voilà un argument qui ne tient pas debout. «Lasciate ogni speranza » répondent les Centraux à ceux qui demandent les réparations des dommages et cependant ils parlent d’une « paix équitable ». Pas un mot du désarmement ni de l'arbitrage. On ne parle pas non plus de l’Alsace-Lorraine, mais en revanche on réclame de vive voix les colonies perdues et l’on s’apprête à garder les provinces baltiques, la Pologne et la Macédoine serbe. Bref, l’on s'efforce à garder par la ruse ce qu'on avait conquis par la force.

Voyons maintenant ce qu’il reste des propositions russes et de leur fameuse proclamation concernant le droit des peuples de disposer de leur sort ?

Voici précisément ce qui en reste : « Abstraction faite ici de la considération de principe, l’exercice du droit des peuples de dis-