La Serbie

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sommes envoyées de Suisse ou de France en septembre 1916, ne furent remises à Belgrade qu’au mois de mars ou avril 1917, après une spéculation de six mois!

Il est superflu de démontrer encore une fois que la situation de la population de Belgrade sera affreuse à l’hiver et au printemps prochains si tous ces gens sont abandonnés sans argent. On a pu jusqu’à présent vivre ou mieux encore végéter dans des plus grandes privations et avec un déficit corporel énorme. Les conséquences graves de cet état ne se feront remarquer qu'après la guerre. Mais cet hiver et le printemps prochain, la population serbe aura à souffrir encore davantage. Les autorités militaires ont organisé un système particulier pour enlever aux paysans serbes les derniers grains de la récolte. Tout, mais absolument tout, dans le sens littéral du mot, est exporté en ce moment, de sorte qu’il ne

reste à la population rien d'autre à faire : qu’à croiser les mains et mourir de faim. |

Des grands secours rapides sont nécessaires, en argent et en vivres, si l'on ne veut pas condamner un peuple possédant une énergie vitale extraordinaire, à mourir de faim dans les conditions les plus atroces.

La situation politique

A cela s’ajoute l'esclavage politique, pour compléter, très logiquement, la misère économique de la Serbie occupée. Aucune forme de vie sociale n’est possible en ce moment en Serbie. Toutes les sociétés, corporations professionnelles, syndicats et sociétés de bienfaisance y compris, sont interdites. Celui qui essayerait de fonder une association — quelle qu’elle soit serait immédiatement arrêté et subirait probablement un sort épouvantable. Le premier gouverneur militaire qui fit son entrée en Serbie émit immédiatement un ordre interdisant sévèrement toute politique dans le pays. On peut à présent facilement s’imaginer ce qu’un régime réactionnaire et militaire entend par « politique ». Il n'existe actuellement à Belgrade qu’une seule imprimerie, celle du gouvernement militaire, qui imprime les « Béogradske Noviné ». Toutes les imprimeries privées sont fermées, après avoir été pillées. Les caractères serbes ou cyrilliques ne-doivent pas être employés dans le trafic public, ni par la poste. Inutile d'ajouter que toute activité politique est interdite et qu’il est même Gevernu extrémement dangereux de dire ce que l’on pense, voire d’avoir des idées indépendantes. Des bourgeois tout à fait inoffensifs, des paysans ignorants et même des commères bavardes courent le danger de se voir immédiatement internés, jetés en prison et même envoyés à la potence, pour peu que leur innocent bavardage ait été surpris et commenté par des mouchards. Les droits de l’homme les plus élémentaires ne sont plus assurés en Serbie. Dans les villages ce sont les gendarmes qui disposent d’un pouvoir illimité et qui dominent tout. Leurs procédés réflètent très exactement le système employé par l'autorité austro-hongroise envers les peuples subjugués. Mouchardage, dénonciations, tracasseries de toute sorte, vols, souvent même des assassinats — voilà la façon de procéder de la gendarmerie dans les villages.

Dans les villes ce sont des officiers et sous-officiers qui jouissent de ces privilèlèges. À Belgrade, un lieutenant du nom de Widmann, employé à la préfecture de police, dispose du droit de vie et de mort envers les habitants. Il ne dépend que de lui de faire arrêter, gifler ou fouetter un habitant de Belgrade, et surtout de le faire interner, ce qui équivaut indirectement à la peine de mort, comme nous le démontrerons plus tard. Tout Belgrade a passé souvent par les mains de ce gendarme et cela dans le sens le plus positif du mot — depuis le ministre retraité jusqu’au dernier des journaliers.

Il n'y a, à Belgrade, personne qui n’aurait à se plaindre d’avoir été maltraité, vexé ou offensé dans ses sentiments les plus sacrés par ce Gessler autrichien, qui agit sans la moindre raison et sans pouvoir reprocher le plus petit délit à ses victimes. Cette méthode de maltraiter les citoyens serbes, de les abaisser au niveau des animaux, de les subjuguer et de leur faire constamment sentir cette situation déshonorante, constitue la quintessence de la politique d’occupation austro-hongroise en Serbie. Le nom du lieutenant Widmann survivra dans la mémoire des générations futures, symbole vivant de la « Kultur » austro-hongroise en Serbie.

Les tribunaux ne fonctionnent pas pour empêcher tous ces pillages et forfaits, mais pour en augmenter le nombre. Pas un seul officier austro-hongrois accusé de vol, de violences ou de meurtre n’a été condamné,

LA SERBIE

quoique ces crimes se produisent chaque jour. Personne n'ose porter plainte contre un officier ou un fonctionnaire. Celui qui oserait — fût-ce le plus modérément du monde — défendre sa fortune, son honneur ou sa vie serait immédiatement arrêté, fouetté et incarcéré. On pourrait citer d’innombrables exemples d’excès de ce genre. Les arrestations de citoyens parfaitement innocents, leur condamnation à la réclusion ou même à la peine capitale sont les événements les plus courants du jour. Les mouchards, détectives et espions, se recrutant dans la sentine des populations austro-hongroise et serbe, sont les auxiliaires les plus importants de ces tribunaux. De leurs dispositions et rapports dépendent la fortune, la liberté, l'honneur et la vie de tout citoyen serbe. Les tribunaux ne sont là que pour donner un semblant de légalité aux décisions de ces individus. se

Cette année, par exemple, 35 naysar” et,

le maître d'école Gäichitch du ‘village Ramatia et. de l'arrondissement de Grou2a furent fusillés et pendus et 250 hommes et femmes jetés en prison, parce que l’on avait trouvé, dans ce village, des armes tout à fait inutilisables et quelques vieux fusils de chasse. Les cas les plus fréquents sont les peines de mort individuelles, prononcées par les tribunaux (ou même par les gendarmes) et qui sont exécutées sur le champs.

Nombreux sont les cas d’otages totalement innocents qui furent assassinés de la sorte. En beaucoup d’endroits on pendit des hommes et une fois même une femme enceinte, dont le corps resta suspendu plusieurs jours durant sur la place du

marché. L'internement

Le plus grand crime des autorités d’occupation austro-hongroise et bulgare consiste en l’internement des gens les plus innocents et pacifiques, et parmi elles d’un grand nombre de femmes et d'enfants. Tout ce que nous avons dit jusqu’à présent n’a trait qu'aux massacres individuels. Ces internements par contre sont des massacres en masse. Dans le territoire occupé par l’Autriche-Hongrie, plus de 150.000 citoyens serbes, parmi lesquels plusieurs milliers de vieillards de plus de 60 ans, plusieurs milliers de femmes et même des enfants de 8 à 15 ans, se trouvent internés.

Ce nombre effrayant ne contient pas les 150.000 prisonniers de guerre serbes, qui partagent le sort de leurs frères interi:és en Autriche-Hongrie. Un livre entier, avec les chiffres les plus effrayants, serait nécessaire si nous voulions dépeindre la situation et les conditions d'existence de ces martyrs. Nous nous bornons de constater que le fait d’être interné en Autriche-Hongrie ou en Bulgarie équivaut en réalité à être condamné indirectement à mort. Les 30 ‘/, environ de ces malheureux sont morts à l'heure qu'il est. Ceux qui restent mènent une existence désespérée, en proie à d’atroces souffrances et à des mauvais traitements qu'il est impossible de décrire, en attendant la mort inévitable. Dans les nombreux camps de concentration, qui contiennent en moyenne plusieurs milliers d’internés, le nombre de 10, 20 et 30 morts par jour est la règle, mais il y en a aussi, en

Hongrie surtout, où quotidiennement 200 à

300 personnes meurent. Il y a des camps de concentration où la moitié des internés sont morts à cette heure. Et il ne s’agit pas là d'une épidémie qui fait ces innombrables victimes... On y meurt de faim et de froid...

Et même ceux qui vivent encore doivent être considérés comme morts: ces malheureux sont destinés à mourir un ou deux ans après la guerre. Seul un nombre minime de personnes excessivement résistantes pourront encore vivre et travailler après la guerre. Tout le monde en Serbie, même les enfants, connaissent. ce sort affreux qui est réservé aux internés. Et pour cela tous ceux qui, sur une dénonciation d’un mouchard, sont condamnés à l’internement sont accompagnés par toute leur famille désolée qui les pleurentcomme on pleure un mort. L'année dernière, comme un certain nombre de paysans des environs de Rraza qui avaient été condamnés à l’internement par l'autorité militaire, crurent pouvoir se cacher et ne ré pondirent pas à la première sommation des autorités, tous ces pauvres gens furent fusillés sans autre forme de procès. Leurs maisons furent incendiées, leurs biens détruits et leurs parents internés.

Nous protestons avec la dernière énergie contre cette politique criminelle de l’Autriche-Hongrie. Nous demandons qu’on mette un terme à ces massacres de milliers de citoyens serbes innocents. Nous nous adressons au

monde civilisé entier pour qu’il élève sa

voix contre ces crimes inouïs et qu’il de-

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mande au gouvernement austro-hongrois de rendre la liberté à nos concitoyens et de les renvoyer dans leurs foyers. Si cette libération ne se produit pas au plus vite, avant les rigueurs de l'hiver, tous ces gens sont condamnés à mourir dans quelques

mois. L'occupation bulgare

Tout ce qui a été dit de l'administration austro-hongroise est exact aussi pour celle des Bulgares, avec la seule différence que tout y est bien pire encore. Passée la Morava, c’est l’Asie quicommence. Les classes dominantes de la Bulgarie ont prouvé que, si elles ne sont pas d'aussi bonnes alliées des Turcs, elles ont su profiter de leur exemple et ne leur cèdent en rien. La partie bulgare de la Serbie occupée ne connaît pas de tribunaux! Ce n'est que tout récemment qu’un tribunal a été installé à Nisch, tribunal qui doit suffire pour tout le territoire occupé de la Serbie. La police, qui se recrute dans la lie de la population, y exerce un pouvoir illimité. La liberté personnelle et la vie de tout citoyen serbe dépendent exclusivement de larbitraire de n’importe quel agent de police ou gendarme bulgares. Les bastonnades infligées aux hommes, femmes, enfants et vieillards sont plus nombreuses encore qu’en territoire austro-hongrois. Les vieillards de plus de 60 ans (et cela non seulement dans les villages, mais aussi dans les villes), reçoivent 75 coups de bâton s'ils ne saluent pas un gendarme. Une femme dont la maison est habitée par un officier bulgare qui évidemment ne paie rien à la propriétaire — reçoit 25 coups de bâton si l'officier a l’impression que la nappe de sa table n’est pas aussi belle que celle de la propoétèire. Un juge serbe de la ville de

choupria — homme d'éducation supérieure — doit tous les jours scier du bois pour les instituteurs bulgares qui habitent gratuitement chez lui, s’il veut échapper à la bastonnade.

Et l'on pourrait citer d'innombrables exemples de ce genre. Les Serbes de cette région sont condamnés à un véritable esclavage semblable à celui qu’ils subissaient il y a 200 ans sous le joug turc. En grand nombre les Serbes que l’on ne réussit pas à assassiner en Serbie même, sont transportés en Asie-Mineure. Des familles entières de la Serbie orientale, femmes, enfants et vieillards, sont arrachées de force à leurs foyers et déportés en Asie-Mineure, Et ce ne sont là pas des punitions individuelles, mais un véritable système, correspondant à une politique déterminée. On veut déporter et exterminer tous les éléments de cette partie de la Serbie susceptibles d’une résistance nationale pour pouvoir ensuite bulgariser ce qui reste de la population. Ces procédés de dénationalisation, que les Bulgares ont empruntés aux Turcs, ne peuvent avoir qu’un résultat : l’extermination barbare de la population serbe innocente et sans défense. D'innombrables familles serbes déportées sous ces conditions atroces en Asie-Mineure sont vouées, sans exception, à la mort. En vérité ces déportations ne sont qu’un massacre en masse des Serbes, massacre pareil à celui organisé par Abdul-Hamid contre les Arméniens.

La révolte qui eut lieu au mois de mars de cette année (1917) dans le midi et dans l’est de la Serbie — surtout en territoire occupé par les Bulgares — a fourni aux autorités bulgares une occasion unique de montrer toute la cruauté bestiale dont elles sont capables. Il est difficile de savoir exactement comment cette révolte a pu avoir lieu. Mais il est certain que la. population civile serbe n’y était que pour bien peu de chose. Toute cette insurrection a été organisée et faite par des soldats et « comitadjis » serbes qui avaient réussi à se cacher devant les autorités. Ces conjurés ont été très probablement appuyés par des déserteurs bulgares et austro-hongrois mécontents de leur sort. Pourtant c’est l’innocente population qui a été tenue pour responsable de cette histoire. Comme la population serbe avait été désarmée depuis le commencement de l'occupation par les soins des autorités, elle avait été hors d'état de s'opposer aux insurgés. Qu'elle le voulût ou non, elle était bien forcée de leur donner nourriture et logement ou de les aider autrement. Evidemment ceci a été immédiatement considéré par les autorités austro-hongroises et bulgares comme participation ouverte à la révolte. Les civils ont été condamnés à la peine capitale. Et quand ces malheureux essayäient de se défendre contre les autorités en leur déclarant qu’il leur avait été matériellement impossible de s'opposer aux insurgés, ils reçurent les réponses les plus cyniques; celle-ci par exemple : Il eut été de votre devoir de vous opposer à toutes leurs exigences et de vous faire tuer le cas échéant. Comme vous

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Dimanche 6 Janvier 1918 - Ne 1

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n'avez pas voulu vous faire tuer par eux, nous ferons cela nous-mêmes.

20,000 Serbes environ ont été mis à mort sous ce prétexte, et parmi ce nombre 3,000 au plus qui avaient réellement participé à l'insurrection. Tous les autres appartenaient à l’innocente population civile. Les Bulgares sont respansables de la plus grande partie de cette boucherie. Ils n’épargnèrent ni enfants ni femmes. La femme d’un député au parlement, Gaïa Nicolitch a été fusillée après être restée pendant huit jours sans eau ni pain, parce qu'elle avait, à l’époque de la révolte, fondé un hôpital à Lébané, pour soigner les victimes de l'insurrection. Des milliers de femmes et d'enfants ont été internés et jetés en prison. 36 villages des environs de Lescovats ont été détruits de fond en comble. De nombreuses familles restèrent sans abri. La presque totalité de la population masculine de Nisch, 4,000 hommes environ, a été déportée. Une partie a été conduite à Pirote en chemin de fer. Le reste a dû marcher à pied. Ils ne sont jamais revenus.

Stockholm, le 10 novembre 1917.

Douchan PopovircH, secrétaire du parti socialiste,

T. KarsLÉROvITCH, député.

Les efforts de M. Wendel

M. Hermann Wendel, poursuit, avec un zèle infatigable, sa critique des plans utopiques bulgares. Dans un récent article, publié par la “ Volksstinme , de Francfort, du 15 décembre, il s'occupe des Prétentions de la Bulgarie d'annexer non seulement la Serbie du sud, ou la VieilleSerbie, mais aussi la Serbie orientale. On sait que les Bulgares emploient constamment, pour la Vieille-Serbie, le nom classique de Macédoine, qui, au point de vue ethnique, ne dit rien du tout, et pour la Serbie orientale, on a trouvé au cours de la guerre actuelle, le nom de pays de Morava!! Ainsi les chauvins de Sofia se préparent à s'approprier deux provinces, dont rien ne rappelle l'origine ni le caractère bulgares. Ces prétentions ridicules nous font rire et seuls des gens naïifs ne remarquent pas le jeu bulgare. En effet, pour cacher la politique d'impérialisme balkanique, inaugurée dans le seul but d'aider à réaliser les plans mitteleuropéens allemands, les Bulgares parlent de leur prétendue unité nationale! N'ayant ren d'original, ils ont emprunté aux autres même leur idéologie politique, et lorsqu'il leur arrive pour une fois d'être francs, ils expliquent candidement que la réalisation de l'unité nationale bulgare consiste dans l'empêchement de l'unité nationale des Serbes, des Grecs ef des Roumains ! C'est M. Rizoff en personne, ministre de Bulgarie à Berlin, qui a défini ainsi les visées politiques bulgares, croyant probablement que la force de l'Allemagne ‘ustifie suffisamment cette conception nationale à la bulgare!

Or, M. Wendel veut démontrer au public allemand que les prétentions bulgares, au moins en Ce qui concerne la Serbie orientale, appelée par les Bulgares pays de Morava, sont excessives, et que les territoires visés sont des provinces serbes. Les bonnes intentions de M. Wendel sont hautement louables et nous serons les derniers à blämer un homme qui tâche d'éclairer son peuple, surtout lorsque ce peuple, malgré ses capacités militaires, est

Si peu versé en matière politique. Mais, -

que l'honorable M. Wendel nous pardonne l'observation que nous nous permettrons de lui faire: Est-ce que ce n'est pas déprécier le public allemand que de juger nécessaire une réfufation des prétentions bulgares !! Le public allemand ne peut Pourtant pas être ignorant au point de Prendre la Serbie pour La Bulgarie !!

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