La Serbie

Samédi 19 Janvier 1918 - No 3

Les procédés bulgares en Macédoine grecque

Salonique, le 28 novembre 1917.

J'ai souvent parlé des procédés des Bulgares contraires à toutes les règles du droit et de l'humanité employés par eux envers leurs adversaires combattants et envers la population paisible des territoires qu'ils occupent temporairement. Aujourd'hui je parlerai de leur système de s'approprier le bien des ressortissants d’un pays qui, alors, n'était pas encore en guerre avec eux. Îl s’agit de l'expulsion de milliers de Grecs de la Thrace, etc. et de la confiscation de leurs biens. Une enquête sur place antérieure m'avait déjà fourni un très riche matériel, qui s’est encore considérablement accru au courant de mes investigations actuelles.

À peine les Bulgares avaient-ils annexé, en 1913, la partie de + Thrace qui leur est revenue ensuite de la guerre contre la Turquie, qu'ils ont immédiatement mis en œuvre tous les moyens pour chasser les Grecs habitant ces contrées dans le but de s'emparer de leurs propriétés cédées ensuite, en grande partie à des Bulgares ou Bulgarisants qui quittaient le territoire hellénique pour s'établir en Bulgarie. Les émigrants bulgares s'étaient, au préalable, assuré la libre disposition de leur fortune immobilière se trouvant en Grèce par des contrats de location où de vente dressés en due forme devant les autorités compétentes helléniques. Les Bulgares expulsaient d’abord les Grecs, le gouvernement de Sofia accordait ensuite à ces expulsés, pour la forme, un délai très court pour la présentation de leurs titres de propriété, et, ceux-ci étant dans l'impossibilité de fournir ces pièces, car, bien entendu, des ordres secrets communiqués aux autorités interdisaient aux Grecs expulsés de franchir la franchir la frontière, leurs biens ont été déclarés sans maître et confisqués. Les quelques rares propriétaires, tels que MM. Télodini, Matsopoulo, Fimerelli, etc, qui, grâce à des démarches diplomatiques, parvenaient à rentrer dans leurs foyers, étaient immédiatement emprisonnés. Aux représentations faites par le gouvernement hellénique au ministre de Bulgarie en Grèce et par le ministre de Grèce en Bulgarie, le gouvernement bulgare s'est constamment contenté, suivant sa tactique habituelle, de donner de vagues promesses et d'élaborer une circulaire du 17 juin 1915, sous le ne 139, interprétative du décret royal de 1915 (n° 49), dans laquelle il fixait un délai dérisoire de cinq jours, pendant lequel les propriétaires d'immeubles, nême ceux résidant à l'étranger, étaient tenus de présenter leurs titres de propriété pour une prétendue vérification. Faute de quoi les biens seraient confisqués et déclarés propriétés de l'Etat.

De cette façon, les Bulgares ont confisqué dans les arrondissements de Gjoumouldchina, Xanthi, Agathoupolis, Dédéagatch, Soufli, Ortakeui, Sozoupolis, Vassilico, Lagos en Thrace et de Mélenico, Pétritch, Nevrokop, Stroumnitsa, Kisil-Agatch en Macédoine, pour 167 millions de‘biens des Grecs qui se sont réfugiés dans les nouveaux territoires helléniques. Le chiffre des pertes de ceux qui se sont réfugiés dans l'ancienne Crèce et les ïles de la mer Egée n’est pas encore définitivement recueilli.

Avec quelle sauvagerie les Bulgares ont procédé à l'expulsion de l'élément grec, la preuve en est la destruction du cimetière grec de Xanthi. Afin d'effacer toute trace pouvant rappeler l'existence de l'élément grec dans cette région, les autorités bulgares n'ont pas hésité à faire ouvrir les tombes, déterrer et jeter aux ordures les ossements, briser les pierres tombales portant des inscriptions grecques et, enfin, à transformer l’église du cimetière en écurie. Il n'était pas rare non plus, comme j'ai pu le constater personnellement sur les victimes, qu'avant d'expulser les malheureux, les Bulgares leur ont infligé encore des mutilations, etc. :

Lors de ma première enquête, le nombre total des réfugiés et expulsés grecs des territoires bulgares fut de 36.006. Depuis lors il s’est accru encore. Les conclusions du rapport de ma première enquête au sujet de ces expulsions, conclusions qui n'ont pas changé aujourd'hui, furent:

Ce qui frappe le plus l’enquêteur désintéressé, c'est le nombre énorme des expulsés de la Bulgarie et le fait que tous ces gens furent dépouillés de leur avoir. L'expulsion en temps de paix sans cause légale d'étrangers ayant habité depuis longtemps le pays — la Grèce n'était pas en guerre avec la Bulgarie — est déjà, une mesure qu'on ne peut pas facilement

justifier par les lois. En tout cas, c'est une me- |

sure draconienne inadmissible en l’état actuel des rapports internationaux en temps de paix. Mais ce qui dépasse tout et qui est contre

toutes les règles du droit, c’est la confiscation

_des biens des expulsés, Je ne comprends pas comment un gouvernement d’un pays, qui a la prétention de compter parmi les Etats civi-

lisés, puisse se laisser aller à une telle piraterie. Le but ou plutôt les buts de la manœuvre ressortent très nettement de mon enquête : L'Etat bulgare veut à tout prix « bulgariser » les contrées qu'il a occupées pour pouvoir

jäider ensuite, par voie de déduction, auprès des grandes puissances d'Europe et d'Améri-

ue la thèse de la Macédoine et de la Thrace bulgares. L'élément grec, trop gênant, ne cadre

as avec le « milieu entièrement bulgare » auquel on voudrait faire croire le monde.

Le second but de l'expulsion et de la spoliation des Grecs de la Macédoine et de la Thrace est l'enrichissement de l'Etat et des particuliers bulgares. Les Grecs sont des gens habiles qui savent acquérir et garder des économies et des biens. L'Etat bulgare a trouvé dans la spoliation des biens grecs un moyen très com mode de s'enrichir. Grâce à ce procédé inadmissible et illégal, des gens autrefois millionnaires, Sont aujourd'hui réduits à la misère.

Mais la cupidité des fonctionnaires et même celle des simples citoyens bulgares profite aussi de ces expropriations en prélevant un fort impôt sur les « gains » de l'Etat. Ainsi, au cours de mon enquête, j'ai constaté à maintes reprises que officiers, gendarmes et fonctionnaires civils, rançonnaient impitoyablement les pauvres expulsés. Par exemple, le préfet Sfinaroff, le général Kirkoff et le chef de la police de Gjoumouldjina Donseff, partagèrent le mobilier, les bijoux, etc, du Dr. Matsopoulos, qui avait cependant rendu de signalés services aux Bulgares. 1

Et que dire du roi Ferdinand de Bulgarie, qui assista ou présida, d'après les dires de mes nombreux témoins de Gjoumouldjina, à l'expulsion à la baïonnette de 20 familles de Kutchukeui ? |

N'est-on pas frappé de la ressemblance des moyens utilisés par les Bulgares envers les Grecs résidant sur leur territoire avec ceux qu'ils mettent en œuvre contre les malheureux

Serbes en Serbie envahie ? R. A. REIss.

En

L'unité bulgare

La « Gazette de Lausanne » du 6 janvier publie sous ce titre l'information suivante :

« M. Léon Savadjian, directeur de l’As gence balkanique, nous dit être en mesure d'affirmer que les prétendues résolutions de dévouement et de fidélité à la Bulgarie dont le gouvernement de Sofia fait état pour englober Roumains, Tatares, Serbes, Macédoniens, Albanais et Grecs dans l«unité bulgare » ont été prises sous la menace et la terreur instaurées dans les pays occupés.

«Bien mieux, le ministre bulgare de l’intérieur a prescrit aux préfets des territoires occupés de recueillir à tout prix et en ne reculant devant aucun moyen, le plus possible de déclarations d’attachement à la Bulgarie. C'est ce qu’on appelle à Sofia comme à Berlin, « la libre expression de la volonté populaire ». .

Nous publierons dans le prochain numéro quelques documents sur cette fabrication de « loyalisme ».

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La propagande bulgare en France

Un correspondant occasionnel nous écrit de Paris :

Lorsque la Bulgarie entra en guerre aux côtés des Empires centraux et contre Îles puissances de l'Lntente, un grand nombre de Bulgares aux sentiments plutôt douteux, furent autorisés à conserver leur résidence à Paris. Parmi ces Bulgares se trouve M. D. Tsokoîf, ancien ministre de Bulgarie à Londres.

On-n'aurait jamais soulevé la question du permis de séjour accordé à ces ennemis de la France si des renseignements précis ne nous indiquaient pas la néfaste besogne à laquelle se livrent ces messieurs en pleine guerre entre la Bulgarie et la France.

M. D Tsokoff est particulièrement visé. Secrétaire de légation à Pétrograde, favorisé par le ministre de Bulgarie dans cette ville, M. Stancioff, avec lequel il est apparenté, M. Tsokoff devint miistre de Bulgarie à Londres en 1906 — sauf erreur, lorsqu'à la tête des Affaires étrangères à Sofia se trouva soudainement son protecteur et ami M. Stancioff. A Pétrograde, M. Tsukoff avait épousé une riche comtesse, avec laquelle il partage aujourd'hui un somptueux appartement, 21, avenue VictorHugo, à Paris. a

L'activité de M. Tsokoff à Londres ne présente aucun intérêt. M. Tsokoff s’est

révélé comme un diplomate très médiocre et plutôt incapable, sous différents rapports. Par contre, il s’adonna entièrement au jeu de Bourse où il gagna deux millions dans l'espace de deux années. Bientôt après il fut relevé de son poste. Les motifs qui ont motivé son relèvement de fonctions impliquaient son incapacité diplomatique. Lorsque la guëérre européenne éclata, M. Tsokoff se trouvait en résidence permanente à Paris, où son protecteur et ami,

M. Stancioff, remplissait les fonctions de

ministre de Bulgarie. À partir de ce moment nous voyons M. Tsokoff se rendre à plusieurs reprises en Bulgarie, puis à Rome, puis à Pétrograde. De cette dernière ville, il envoya au journal bulgare « Préporetz », organe du parti démocratique auquel M. Tsokoff appartient, plusieurs dépêches signées d’un pseudonyme.

L'intervention bulgare trouva M. Tsokoff à Paris. Devant ses amis bulgares, il affirma que c’est l’insistance de sa femme, Russe d'origine, qui le retenait en France, tandis qu'il avait un désir ardent de se rendre dans son pays. Ce qu'il disait aux Français, ceux qui ont causé avec lui, le savent bien.

Car M. Tsokoff ne reste pas à Paris sans rien faire. Il met largement à profit l'hospitalité généreuse de la France pour calomnier la Serbie, la Roumanie et la Grèce. Nous le voyons au Quai d'Orsay, puis chez M. Léger, puis dans les cercles politiques, souvent avec des journalistes, des écrivains. À tous, il dit que la cause de l’intervention bulgare aux côtés de la Prusse n’est nulle autre que la Serbie elle-même... cette Serbie qui, pourtant, pour faire preuve de loyauté et d’esprit conciliant, consentait à céder à la Bulgarie les plus rigoureusement serbes de ses provinces, jusqu’à Prilep ; elle était même prête à aller au delà et à faire d’autres sacrifices afin d'éviter une effusion nouvelle de sang. Tout cela ne gêne pas beaucoup ce diplomate bulgare, qui a eu même l'audace de rédiger un mémoire spécial sur l'intervention bulgare, dans lequel il cherche à prouver que c'est le haut commandement serbe, plus particulièrement le prince Alexandre, qui aurait empêché la réalisation d’un accord serbo-bulgare |!

Mais M. Tsokoff ne se contente pas de calomnier les Serbes. Il s'efforce aussi de tromper l’opinion publique française sur les véritables sentiments du peuple.bulgare à l'égard des Alliés. Il cherche à faire croire à la France que le peuple bulgare n'a rien de commun avec la politique de M. Radoslavoff, qu'il la désapprouve et qu'il est même capable d’une réaction favorable à l'Entente !

M. Tsokoff lit à Paris même, et très régulièrement, les journaux bulgares; il est mieux placé que tout autre pour se rendre compte que la Bulgarie tout entière, que les groupements politiques de toutes les opinions et de toutes les nuances ne désirent qu’une chose : le triomphe de la Prusse contre les puissances qui luttent pour l’instauration d'une nouvelle ère dans le monde. Et pourtant il affirme le contraire, et, ce qui est le plus étrange, il trouve des gens en France qui ajoutent foi à ses « informations »! Jos. DEL.

L'Amérique et la Serbie

— La réception de la mission serbe —

. Le bureau de presse serbe à Corfou nous envoie l'information suivante :

Le 6 janvier eut lieu au Sénat américain la réception solennelle de la mission serbe se trouvant à Washington. Le président du Sénat salua la mission par un discours chaleureux, relevant la persévérance et la bravoure du peuple serbe dans les luttes séculeires contre la Turquie et l’Autriche-Hongrie. Il termina en faisant le vœu que la guerre actuelle fût couronnée par la libération et l’union du peuple serbe. M. Vesnitch, le chef de la mission, répondit en faisant l'éloge de l'Amérique pour ses efforts pour réaliser l'idéal de la liberté et de la justice dans l'humanité. Il exprihina lespoir que la persévérance du peuple serbe soutenu par ses alliés et l'Amérique lui donnera lPunion et la liberté, Les sénateurs accueillirent les discours par une l’approbation unanime.

Le 9 janvier eut lieu la réception de la mission serbe à la Chambre des représen-

/ tants à Washington. La mission assista d’a-

bord à la séance du Congrès à laquelle le président Wilsan lut le discours surles buts de guerre. La réception à la Chambre des représentants fut aussi chaleureuse qu'au Congrès. Le président de la Chambre marqua dans son discours l’importance du rôle de la Serbie et là bravoure de l’armée serbe. M. Vesnitch répondit en exposant l’origine de la guerre qui était dans la haine que l’impérialisme allemand avait vouée aux démocraties et dans son aspiration vers

ë

‘termes suivants:

l’hégémonie mondiale. Il exposa ensuite la terreur avec laquelle sont en lutte les Yougoslaves, la solution de cette question étant indispensable pour une paix durable. Il insista sur le fait que tous les alliés doivent déployer toute leur énergie pour vaincre, car la paix ne peut être obtenue que par la victoire. Les discours furent accueillis par de vives approbations.

Le jour de Noël la mission accompagnée du ministre des Affaires étrangères avait salué la mémoire du fondateur de la liberté américaine comparant son œuvre à l'œuvre de Karageorge en Serbie. M. Vesnitch exprima la conviction que les descendants de Washington étendront les bienfaits qu'il a assurés à l’Amérique à tous les autres peuples. Un lapsus du « Temps »

Le « Temps » du 11 janvier, en commentant le discours du président Wilson, parJant de la Bulgarie, s'exprimait, dans les

« Aux Etats qui combattent aux côtés de l'Allemagne, M. Wilson offre dés conditions telles qu'aucun d’entre eux ne peut plus se sentir menacé. Désormais, il ne tient qu'aux Turcs de sauver l'empire ottoman. Il ne tient qu'aux Bulgares d’envisager un règlement balkanique règlement qui devient beaucoup plus facile si l’on commence par déclarer, comme la fait M. Wilson, que la Serbie doit recevoir « la sûreté d’un libre accès à la mer ». C’est en effet la spoliation de la Serbie, après la guerre de 1912, qui a rendu insoluble: le problème des Balkans. »

Nous croyons savoir qu'il s'agisse ici d’un lapsus involontaire du rédacteur politique du « Temps », parce que toute l’attitude du grand journal parisien dans la question bulgare dément cette conception par trop légère du caractère agressif de la politique de Sofia.

Un démenti

Le bureau de presse serbe à Corfou nous envoie: le communiqué suivant :

Certains journaux suisses ont publié à la fin du mois.de décembre une nouvelle de Berlin suivant laquelle un conseil de la couronne ‘erbe aurait eu lieu à Salonique pour examiner la question de la continuation de la guerre. La majorité des ministres aurait été hostile à la continuation de la lutte et seul le président du Conseil y aurait été favorable. L’attitude du Prince-héritier, d’après la dite nouvelle, aurait été indécise et on affirme que les manifestations auraient eu lieu en faveur de la paix et en faveur du général Boyovitch, qu’on qualifie de général pacifiste et d'homme de l’avenir en Serbie. Cette nouvelle de source allemande est une pure invention. Aucun conseil de la couronne ne fut tenu à Salonique et le président du Conseil des ministres n'aurait pas pu y assister étant en

France au moment où les dits journaux :

placent ce conseil, et n’étant revenu que le 29 décembre. Il est clair donc, que tout est: invention dans cette nouvelle qui vise à in-

duire en erreur l’opinion publique et à pré- :

senter la politique serbe comme agressive et belliqueuse. Par contre c’est un fait connu aujourd'hui, que la Serbie fut victime d’une agression depuis longtemps méditée et préparée par les ennemis qui l’attaquèrent dans un but de conquête et d’oppression. De même est complètement inventée. la nouvelle que les rois de Serbie et du Monténégro ont l'intention, immédiatement après la conclusion de la paix sur le front oriental, d'entrer en contact direct avec Pétrograd pour entamer les négociations de paix avec les puissances centrales.

Des protestations yougoslaves à Trotzky

La colonie yougoslave de Londres a té-

légraphié à Trotzky pour protester contre le droit des délégués austro-hongrois à Brest-Litovsk de représenter les Serbes, les Croates et les Slovènes d’Autriche-Hongrie. “ Souvenez-vous, dit cette protestation, quand vous cherchez à négocier une paix démocratique avec les délégués des gouvernements qui Sont les derniers champions de l’autocratie, de la tyrannie et du. militarisme, que vous fûtes vous-mêmes mis hors la loi par le tsar autocrate. »

De même à Genève, les émigrés yougoslaves ont tenu la semaine passée une réuMon pour protester contre la prétention des

Irigeants de Vienne et Budapest de parler au nom du peuple yougoslave et pour dire à Trotzky que les YVougoslaves ne désirent Res des autonomies autrichiennes mais bien

indépendance nationale, réelle et sans au-

Cune Communauté avec la maison des HabSbourg. EEE | Imprimerie Reggiani, Rue du Diorama, 16

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