La Serbie

Samedi 26 Janvier 1918 - No 4

L'Amérique et la Bulgarie

Le journal bulgare « Kambana» a publié, dans son numéro du 19 décembre, l’entretien d’un de ses collaborateurs avec le représentant diplomatique des Etats-Unis à Sofia, le consul général Murphy. Voici ce que le diplomate américain aurait déclaré d’après le journal bulgare :

« Selon les derniers renseignements, le gouvernement et le Sénat de Washington auraient fait connaître à qui de droit, que {a Dalmatie ne pourra être comprise dans les buts de guerre de l'Italie. Cela rendra déjà la paix plus proche.

« Les Américains comprennent pourquoi les bolchéviks de Pétrograde sont pressés de conclure la paix. On a fait comprendre à Paris et à Londres que les intérêts commerciaux des Etats-Unis exigent la cessation de la guerre, afin que les bateaux américains puissent se rendre librement en Europe et y porter les céréales nécessaires

aux-peuples épuisés de l’Europe.

« Le consul général Murphy, Irlandais d’origine et qui passe pour un partisan de l'idée de la liberté des peuples opprimés, avait depuis deux ans tâché de prouver, dans ses rapports, la légitimité de la cause bulgare qui est l’union de la Bulgarie avec la Macédoine, la Dobroudja et la Morava. Il nous assure que l'Amérique ne s’opposera jamais à ces buts de guerre Bulgares. Malgré les menaces de Wilson, les relations diplomatiques ne seront pas rompues avec les Etats-Unis, car c’est le Sénat qui est appelé à en décider.

« Murphy parle avec regret des agitations et des déclarations malignes du ministre américain à Berlin, Gerard, qui, en ami convaincu de l’Entente, avait grandement contribué à la rupture entre l’Allemagne et les Etats-Unis. Cependant Wilson n’osait pas le contrarier, parce que il fut un des principaux agents de sa réélection.

«Les rapports entre le Japon et les Etats-Unis sont de telle nature que ces derniers seront forcés d'agrandir dans l’avenir leurs forces de terre et de mer. »

Nous avons tout lieu de considérer cet entretien comme inventé; nous le reproduisons quand même pour attirer l'attention des milieux américains sur ces intrigues de Sofia, auxquelles est mêlé le nom du représentant de M. Wilson.

Le « berceau» de la race bulgare

L’ « Echo de Bulgarie » du 8 décembre a publié un résumé de la presse bulgare à l'annonce des pourparlers de paix engagés sur le front roumain.

Les « Narodni Prava » (organe de Radoslavoff) rappellent les principaux faits du passé récent. « La destinée a pris un cours différent de celui qu'on rêvait à Bucarest et la Roumanie, baîtue sur les champs de bataille par ceux-là même dont elle faisait bon marché dans sa folie des grandeurs, abandonnée par tout le monde, vient demander la paix et s'en remettre à la générosité de ses adversaires plutôt qu’à la sollicitude de ses alliés. »

« Ainsi donc, ajoute le « Vœni Izvestia » (organe militaire), nous pouvons assister avec un sentiment de soulagement et

en même temps de satisfaction au spectacle du châtiment que reçoivent l’un après l’autre les auteurs du traité de Bucarest qui avaient chacun traîtreusement découpé un morceau de notre corps saignant. « Carilne faut pas perdre de vue que la capitulation de la Roumanie aura des suites importantes. Tout d’abord, dit le « Préporetz » (organe de Malinoff), elle nous permettra de parachever notre unité nationale au nord en nous assurant définitivement la possession de tout le territoire

toire qui fut le

qui s’étend entre la mer Noire et le Danube jusqu’à l'embouchure de ce flenve, terriberceau de la race bulgare et qui maintenant encore est habité par une population qui ne demande qu'à s’unir à la Bulgarie. »

Ainsi, c’est tantôt la Macédoine, tantôt ja Dobroudja qui est le berceau de Ia race bulgare !! Les Bulgares se comportent comme si le monde ne savait pas que le berceau de leur race se trouve en Asie, là où est le berceau de toutes les tribus touraniennes !

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Comment les Bulgares « bulgarisent »

Nous recevons la lettre suivante :

Depuis quelque temps, le Gouvernement bulgare transmet à l'étranger les dépêches et les résolutions que lui adressent les populations de la Macédoine, de la Vieille-Serbie et de la Dobroudja, affirmant leur volonté de devenir bulgares. Le Gouvernement de Sofia cherche à démontrer ainsi le caractère bulgare de ces populations, soulignant en même temps l’idée que le principe des nationalités ne serait nullement affecté par incorporation de ces territoires à la Bulgarie. Le Gouvernement bulgare prend les peuples civilisés pour des imbéciles. Les dépêches et les résolutions que lui adressent les malheureuses populations des territoires occupés ne prouvent rien du tout. Aussi bien en Dobroudja qu’en Macédoine et en Vieille-Serbie, les populations visées n’ont nullement l'intention de devenir bulgares. Les signatures que l’on a recueillies, les dépêches que l’on a envoÿées, les meetings que l’on a organisés n’ont eu lieu que par la force armée, organisés par les préfets, exécutés par les gendarmes, avec une terreur inouïe et une violence qui dépasse les bornes de l'imagination.

J'ai sous les yeux quelques documents officiels qui relèvent la basse manière dont use le Gouvernement bulgare pour démontrer le caractère « bulgare » des contrées envahies.

Dans une circulaire adressée aux préfets en Macédoine occupée par les troupes du tsar Ferdinand, le ministre de l’intérieur dit (20 octobre 1917): :

« Il appartient aux organes de l’Administration de purifier les provinces macédoniennes de tout élément étranger, y créant ainsi une atmosphère essentiellement bulgare, même au risque d’un dépeuplement complet de ces contrées. Les notabilités et les chauvins serbes qui refusent de reconnaître leur origine « bulgare » doivent être envoyés à Sofia sous bonne escorte. »

Pour terminer, la circulaire rappelle aux préfets qu'ils seront tenus personnellement responsables de la moindre concession accordée à qui que ce soit.

Le 28 du même mois, le Ministère de l'intérieur (la dépêche est signée par M. Arnaoudoff, probablement le secrétaire général du dit ministère) télégraphie au préfet de Constantza (Dobroudja roumaine) :

« Un convoi de soixante gendarmes,

détachés à la police de Sofia, est envoyé aujourd’hui pour assurer le succès du meeting ».

H s'agit d’un meeting organisé par le Cotnité « Dobroudja » subventionné et entretenu lui-même par le Gouvernement bulgare ; soixante gendarmes sont envoyés en hâte pour assurer le succès du meeting. Cela veut dire, en langage bulgare, que soixante gendarmes en plus, munis de fouets, amèneront à la place publique la malheureuse population roumaine pour crier « Vive la Bulgarie » et voter des résolutions d’attachement à la « Mère-Patrie ».

Le 4 novembre, le sous-préfet d'Ochrida informe le ministre de l’intérieur que des réunions clandestines ont eu lieu dans: la région et que le mouvement antibulgare prend des proportions menaçantes.

Dans une autre circulaire adressée le même jour aux préfets en Macédoine et en Vieille-Serbie (numéro 1387 du 4 décembre 1917) le ministre de l’intérieur ordonne que la terminaison « itch » des noms serbes soit remplacée par la terminaison « off » qui caractérise les noms bulgares.

Enfin — et pour comble — le préfet de

Prilep télégraphie le 3 décembre à Sofia:

« Concours autorité militaire trop faible. Avons recueilli seulement deux cent signatures.… »

Que signifie cette dépêche? Voici: quelques jours avant la réunion de la confé-

| rence de Brest-Litovsk, le Gouvernement

bulgare a ordonné aux préfets des pays envahis de recueillir à tout prix eten ne reculant devant aucun moyen, des signatures d’attachement et de fidélité à la Bulgarie, un.genre de plébiscite, quoi. Le souspréfet de Prilep — régions de vingt mille habitants — a bien voulu s’acquitter de l'ordre reçu, malheureusement il lui manquait le concours militaire suffisant, et avec ses gendarmes il n’a pu recueillir que deux cents signatures. Sur vingt mille habitants — deux cents Bulgares ce n’est pas trop!... Malheureux sous-préfet. qui sait quel sort il a dû subir depuis !.

Voilà de quelle manière la Bulgarie veut démontrer le caractère bulgare des régions serbes et roumaines qu’elle oppresse depuis deux ans par un régime de terreur inouïe. Je dénonce cette manière d’agir et je proclame une fois de plus que l’agrandissement de la Bulgarie au détriment de ses voisins constituerait la plus monstrueuse iniquité du siècle.

Léon SAVADJIAN, Directeur de l'Agence balkanique.

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Un mensonge bulgare

L' « Organisation révolutionnaire macédonienne » de Sofia avait, il n’y a pas longtemps, adressé au Comité hollando-scandinave un. mémorandum, revêtu de 48 signatures recueillies dans la Macédoine serbe, et dans lequel cette organisation officielle de Sofia expose l'ancienne et bien connue thèse bulgare sur la Macédoine et sur les désirs ardents des Macédoniens de devenir sujets du roi Ferdinand de Cobourg, de M. Radoslavoff, etc.

Comme ce mémorandum est en quelque sorte la réponse au mémorandum des socialistes serbes à Stockholm, M. Huysmann avait invité ceux-ci à y répondre. MM. Douchan Popovitch, secrétaire du parti, et Tricha Katslérovitch, député, ont donné une réponse, dans laquelle, après avoir combattu les tendances d’hégémonie bulgares, ils blâment la manière bulgare de se servir de mensonges pour atteindre leurs buts chauvins en calomniant leurs voisins.

« Un de ces mensonges, dit-on dans le mémorandum des socialistes serbes, est celui selon lequel certains sujets bulgares auraient été enrôlés par force dans l’armée serbe, et pour s’y être refusés, auraient été fusillés à Kragouïiévats, aux cris de: « Vive la Bulgarie unie! Vive le roi Ferdinand! »

« Nous n'avons aucune raison de défendre les dirigeants de Serbie pour lesquels nous n’avons le moins du monde de sympathies (de même qu’ils en ont autant pour nous) et à la politique desquels nous faisions toujours une opposition acharnée ; mais il est de notre devoir de défendre la vérité. Et la vérité consiste en ceci: premièrement, les bataillons macédoniens de l’armée serbe ont admirablement combattu contre l’Autriche-Hongrie en 1914-15 ;: deuxièmement, aucun des sujets bulgares n’a été enrôlé dans l’armée serbe et encore moins fusillé à Kragouïévats ; troisièmement, il y a, au contraire, un grand nombre de vrais sujets bulgares habitant la partie dela Serbie occupée actuellement par l'Autriche-Hongrie, qui ont employé mille moyens détournés pour ne pas répondre à l'appel sous les drapeaux que le gouvernement bulgare a fait par l'intermédiaire du Gouvernement général militaire de Belgrade. »

Les procédés bulgares en Macédoine grecque

Nous apprenons de source autorisée que les Germano-Bulgares ont déporté tous les hommes valides de la Macédoine orientale, âgés de 17 à 47 ans; ils les engagent par force et les emploient surtout à la construction des routes militaires. Etant donné que la province de la Macédoine orientale, livrée par l’ex-roi Constantin aux ennemis de la Grèce, était grecque et ses habitants ressortissants grecs, ce procédé constitue une nouvelle violation du droit des gens.

D'autre part, il ressort d’une lettre parvenue, d’une ville occupée, au ministère de la guerre par les soins de la Croix-Rouge internationale, que de nombreux soldats grecs des troupes commandées par le général Hadjopoulos, furent internés par les Bulgares et sont l’objet des pires traitements de la part de ceux-ci.

(Agence de presse de Salonique).

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nouveau et ont été, par des événements récents, poussés à un point qui, je crains, recule indéfiniment le jour où les moutons balkaniques voudront s'associer de tout cœur aux loups des Balkans.

Il est très nécessaire non seulement dans le cas que nous venons de considérer, mais dans toute discussion concernant l'idée de fédération de se rendre compte clairement de la différence existant entre les deux principaux types de tout système fédéral; entre le Staatenbund, une confédération entre Etats souverains, et le Bundesstaat ou Etat fédéral. Dans le premier cas le pouvoir exécutif et central n’exerce son pouvoir sur les citoyens s’il le possède — que par l'intermédiaire des gouvernements de chaque Etat (sauf dans le cas des fonctions dont il a été expressément chargé). Dans cette forme chaque Etat de la Confédération reste souverain et garde tous les attributs et pouvoirs d’un Etat souverain, excepté en ce qui concerne les fonctions et pouvoirs expressément délégués aux autorités fédérales, c’est-à-dire au pouvoir exécutif central et au parlement fédéral, et aussi à l'autorité judiciaire fédérale qui, dans ce cas, est susceptible de devenir, par nécessité, une autorité dépendant de la constitution fédérale. Les attributs de la souveraineté appartiennent aux Etats particuliers, et ces Etats délèguent aux autorités fédérales certains de ces pouvoirs. -

Dans le deuxième cas le « Bundesstaat » ou Etat fédéral, les conditions sont renversées. Le gouvernement central exerce alors son influence directement sur les citoyens. Les pouvoirs souverains appartiennent à l'Union et les différents Etats ne jouissent que des pouvoirs que le gouvernement central leur accorde. Dans le premier cas les Etats souverains concluent une confédération et remettent certains pouvoirs bien définis au gouvernement commun. Dans le second cas un Etat souverain accorde certains

pouvoirs aux autorités locales. Et cette différence reste vitale même si, dans le deuxième cas, les pouvoirs que possèdent les parties constitutives sont aussi étendus que les droits souverains réservés dans le premier cas, pour les différents Etats. Car, le gouvernement central, s’il est souverain, peut varier, augmenter ou restreindre, le pouvoir des gouvernements locaux, tandis que si ces derniers sont souverains, de pareils changements sont impossibles sans une modification de la Constitution et qui, inévitablement, est une affaire difficile et compliquée.

LES SERBES. — Population rurale et urbaine. — Vie Intellectuelle. — Religion. — Politique. — Conférence faite à Lyon le

27 mai 1917, par Yovan M. Zujovié, président de l'Académie royale

de Serbie, ancien professeur à l’Université de Belgrade. — Paris.

1917.

M. Zujovié a fait à Lyon, à l'occasion de l’Exposition serbe dans cette ville, une conférence qui s’est distinguée surtout par une Caractéristique des paysans serbes. « Je ne vous garantis pas, a dit M. Zujovié, que mon jugement soit exempt de partialité, car j'aime notre paysan tel qu’il est ». Et il trace les lignes suivantes : « Je ne citerai que les paroles du professeur Albert Mallet, qui a passé plusieurs années en Serbie et qui a trouvé une mort glorieuse en défendant sa chère France. — Faire le portrait du seul paysan serbe, dit-il, c’est faire le portrait de tout le peuple serbe, car la population urbaine est un dixième à peine du total. »

« Le paysan serbe est beau, il a les traits fins, la physionomie vive et malicieuse. Bien souvent il rappelle, de façon frappante, notre type gaulois, au front élevé, au nez busqué, aux longues moustaches tombantes. Il est grand, bien découplé; avec une aisance et une souplesse de mouvements, que fait encore ressortir le costume.

« À voir passer le paysan serbe, on est surtout frappé de l’aisance de ses manières, de la distinction naturelle de tous les gestes. Un

voyageur anglais, le Révérend père W. Denton, a écrit: « Tout Serbe est un gentleman ». Pris dans son milieu, le paysan serbe donne bien précisément l'impression ressentie par le voyageur anglais et fait penser au gentilhomme. On ne saurait montrer plus de dignité simple, plus de cordialité mesurée que n’en montre le paysan quand il reçoit un hôte. Il n’éprouvera nulle gêne dans un salon, s'y tiendra sans gaucherie, n’y commettra nulle faute de tenue. Ainsi parla Albert Mallet.

« Sur les ruines de l’ancien Empire serbe ne resta vivante que la classe des paysans ; la noblesse et la bourgeoisie étaient ou détruites, ou obligées de changer de religion et de nationalité. C’est donc dans cette basse classe, qu'ont pu se conserver la religion et la conscience nationales, les traditions du passé et la volonté de redevenir libre.

« Ainsi les paysans serbes, dépositaires de traditions nationales, sans aucune élite sociale, sans le secours d’aucune force étrangère s’affranchirent et formèrent le noyau de la nouvelle Serbie.

« Le pavsan serbe aime l'égalité, non seulement des droits, mais autant que possible l'égalité sociale. Il se sent égal au grand commerçant, industriel, fonctionnaire, Il ne se croit pas obligé de courber sa tête devant qui que ce soit; il aime les façons simples. Des gens prétentieux et poseurs, il se venge, par une moquerie fine.

« Le maintien d’une égalité sociale approximative est favorisé pat un certain nombre de traits caractéristiques de la situation des paysans dans le Royaume de Serbie. Tous les paysans serbes sont propriétaires du sol. Il n'y a pas d'ouvriers agricoles sans terres. La plus grande partie (96 ‘/,) sont de petits propriétaires ; la grande propriété n'existe presque pas. D’après le droit coutumier, le sol n’est pas la propriété privée du chef de famille, mais constitue le bien de la famille. La loi garantit à chaque famille un minimum insaisissable de ce bien, » =

Les autres parties de la conférences de M. Zujovié ne sont pas moins intéressantes et instructives. Fe

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Imprimerie L. Reggiani, rue du Diorama, 16, Genève.