La Serbie

IlIme Année, — No 7 ” Prix du Numéro : 10 Centimes Genève, Samedi 16 Février 1918

JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

Paraissant tous les Sameüis Rédacteur en chef : Dr Lazare MaRCOVITCH, professeur à l'Université de Belgrade

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L'unité yougoslave et l'Italie Un appel contre le régime austro-bulgare en Serbie

? À propos du livre de M. Voïnovitch

Le parti social-démocratique serbe, représenté par M. D. Popovitch, secrétaire du pärti, et le député T. Katzlérovitch, a remis, le 10 novembre 1917, au secrétaire du Comité k$llando-scandinave, à Stockholm, M. Camille Huysmanns, un mémoire qui contient des docu-

| nénts irrécusables sur les atrocités: austro-hongroises et bulgares contre la population civile serbe. Le dossier d'accusation vient s'ajouter aux atrocités commises contre la population

; + ë L de : “Es e + ___ Les conversations italo-serbes . continent. 1gnorees de la diplomatie officielle. sil y avait dire tro es représen- | parmi les Alliés des doutes quant à l'identité

. d'une façon assez surprenante.

rants éminents des deux peuples, avec une ardeur louable, se sont mis à discuter les causes des dissentiments précédents et à chercher des voies et les moyens d'une entente juste et durable. On ne peut que se réjouir de ce flot de déclarations et d'interviews quifiniront par révéler à tout le monde une vérité que d'ailleurs nous n'avions jamais cessé de soutenir dans notre journal, à savoir qu'il n'existe aucune incompatibilité entre les aspirations nationales yougoslaves et italiennes, et qu'avec de la bonne volonté les deux nations pourraient s’accorder sans porter atteinte à leurs intérets vitaux respectifs. Combien en effet nous semble étrange aujourd’hui l'anecdote, inventée ou vraie, il n'importe, sur la première entrevue Pachitch-Sonnino à Rome, en 1916, lorsque, à la sortie du salon de réception, un personnage de l'entou-

rage des ministres, pressé par ses amis de racon- |

ter ce qu'il avait entendu, s'écria, embarrasèé : Eh bien, ils n'ont rien dit! Cette fois-ci la conversation est entamée dans les milieux inofficiels à Londres, à Paris, à Rome, en Suisse, et ses résultats bienfaisants se font déjà sentir dans le domaine de la politique pratique. Parmi les Yougoslaves qui ont contribué à ce revirement des esprits, une place marquée revient

© incontestablement au comte L. de Voïnovitch,

dont le livre semble avoir fermé la bouche aux impérialistes pour donner la parole aux descendants de Mazzini:.

M. de Voïnovitch est un érudit dont la nation yougoslave pourrait à juste titre s’enorgueillir. Son frère Ivo, le grand poète contemporain yougoslave, est, lui aussi, une étoile sur le firmament du génie serbo-croate. L'étude de M. Voïnovitch est consacrée à la Dalmatie, mais l’auteur a traité cette question particulière en liaison étroite avec l’ensemble du problème national yougoslave. En défendant le caractère slave de la Dalmatie, il n’a pas perdu de vue le but suprême de la nation, la libération de tous les pays serbo-croato-slovènes et leur union avec la libre Serbie. — Ce qui augmente la valeur de cette publication qui est, en ellemême déjà, un travail scientifique remarquable, c'est cette chaleur avec laquelle le comte Voïnovitch, un Dalmate de culture et de sentiments, a parlé de la civilisation italienne. Notre nation restera en effet la débitrice éternelle de cette civilisation et l’âme yougoslave ne cessera pas non plus à l'avenir de puiser des inspirations fécondes dans les sources du génie italien. Ceci est déjà, à part toutes les considérations d'ordre politique, un gage sérieux de l'amitié durable italo-slave.

Il serait vain et téméraire de vouloir donner un résumé du livre de M. Voïnovitch. Sa richesse en arguments et les variations multiples en preuves convaincantes défient toute analyse en un article de journal. S'il y a des livres écrits pour être lus, c'est sûrement celui du comte Voïnovitch. Qu'il nous soit permis pourtant d'attirer l'attention particulière des lecteurs sur le chapitre IV, où l'éminent publiciste et savant a parlé des origines du mouvement unitaire yougoslave, de l'identité ethnique serbocroate et du rôle assigné par l'histoire même à la Serbie. On trouvera là une des plus belles et des plus persuasives justifications de nos aspirations naticnales. Nous avons rarement entendu des paroles aussi vigoureuses, franches et pleines de vérités simples et pourtant si souvent

1 Comte L. de Voiïnovitch : La Dalmatie, l'Italie et l'unité yougoslave. Genève, 1917. Georg & Co.

du sang serbo-croate, l'exposé éloquent du comte Voïnovitch les aura dissipés. Ces quelques pages vraiment magistrales suffisent à balayer toute la sophistique accumulée des scribes austro-magyars et de leurs disciples alléguant la diversité ethnique des Serbo-Croates, peuples frères par le sang, par la langue et par leurs tendances les plus intimes. Dans ces lignes, le comte de Voïnovitch s'est révélé être un des constructeurs les plus résolus de l'unité morale yougoslave dont dépend l'avenir entier de notre nation. Et dans le chapitre dernier, dans la conclusion, l’auteur s'exclame avec feu, comme s'il voulait persuader le dernier des hésitants : « Aucun autre peuple, soumis à des épreuves si dures, opprimé par des régimes si variés, placé entre deux grands Empires, avec une telle diversité de confessions, de calendriers et d’alphabets, d'infiltrations de cultures étrangères, n’a subi plus victorieusement le jugement du feu et n'a exprimé d'une manière plus claire et plus entraînante sa douloureuse nostalgie de l'unité »

Qui oserait contredire cette vérité ?

LM.

L'entrevue Orlando-Troumbitch

M. Troumbitch a communiqué à l'Agence KReuter une déclaration résumant les impressions que lui avaient valu sa conversation récente avec M. Orlando, qui, selon lui, #«marque le acmmencement d'une nouvelle phase dans les rapperts entre l'Italie et les sept millions de Serbes, Crcates et Slovèncs opprimés par J'Autiche-Hcngrie. Après avcir rappelé que l'entretien avec M. Orlandt: était le premier contact entre le gouvernement italien et le Comité yougoslave, transféré de Reme à Lonidres, à la veille de l'intervention italienne, M. Troumbitch a déclaré:

« Ma cemversation avec l'honorable Orlando fut Icngue, cordiale, À cœur ouvert. Les points de ecntreverse entre les Italiens et les Slaves du Sud ne dérivent pas d'un véritable ccinflit d'intérêts mais d’une divergence es points de vue respectifs. Il est désirable, par conséquent, que ces points ccintroversés soient éliminés parce que nos intérêts réciproques sont intimement liés en cc moment et ils dcivent le rester aussi après la guerre.

« Pour le moment, il suffit de souligner que l’Autriche-Hongrie est notre ennemie commune. Elle tuent en esclavage sept millicns de Yougoslaves, Serbes, Crcates et Slovènes, et elle menace la sécurité de l'Italie. Si l’Autriche-Hongrie survit à la guerre, elle ccntinucra à tenir en esclavage notre nation et constituera une menace permanente pour l'indépenidance et le développement de l'Ttalie. Cest pourquoi les Italiens et les Yougoslaves devraient arriver à un accord dirigé contre l'AutricheFlongrie et s'entendre aussi avec les autres nationalités subjuguées par l'Autriche, pour travailler de toutes leurs forces réunies à la libération de ces nationalités de la diomination étrangère. « Cela est non seulement dans l'intérêt commun dé la Yougoslavie et de l'Italie, mais aussi dans l'intérêt général des Alliés. L’Autriche est auJsurd'hui en, réalité vassale de l'Allemagne et elle le sera enccre davantage après la guerre. Pour ces raiscins il est dans l'intérêt suprême des Alliés de travailler à l'indépendance des naticns qui scutfrent une véritable servitude sous les AustroMaoyars. » do. -

La misère des prisonniers serbes

Le Corriere della Sera, du # février, publie une information sur l’état lamentable des prisonniers italiens et serbes en Autriche-Hongrie: « Les Italiens souffrent horriblement, surtout ceux confiés à la garde des Mugyars, parce que

les Magyars ressentent une véritable joie de.

pouvoir leur faire dn mal. « La tragédie est encore plus impressionante

pour les prisonniers serbes. L’Autriche aurait pas pu agir plus cruellement si elle avait décidé d’anéantir la race serbe. Des voix indignées se sont élevées en Autriche même pour protester contre de telles férocités. On calcule que le nombre de risonniers serbes morts en caplivité s'élève à 40,000. La cause principale de ces décès serait le manque de nourriture. »

yougoslave de la double monarchie et relatés déjà au Parlement de Vienne par le député au

Reichsrat autrichien M. Tressitch-Pavitchitch *.

Les deux documents réunis forment certes un des plus formidables réquisitoires qui aient été, au cours de l'histoire, élevée contre un Etat. Le dossier à charge, riche en contenu, déjà publié, a suffisamment mis en lumière la jugulation systématique que le régime austro-hongrois,

poursuit également depuis de longues années

contre d’autres nationalités de la Monarchie

(Tchéco-Slovaques, Ukrainiens, Italiens et Roumains).

Les documents en question fournissent aux soussignés l’occasion d'adresser un appel à la‘ conscience de tout le monde civilisé. De tels crimes qui tendent manifestement à la destruction de groupes nationaux entiers, peuvent-ils être livrés à la publicité sans soulever la plus profonde indignation ? Peut-on admettre qu'une fois les buts militaires complètement atteints en Seibie, la guerre soit poursuivie, depuis deux ans et demi, contre des vieillards, des femmes et

des enfants ?

Indépendamment de toute considération politique, nous posons la question : le monde civilisé ne devrait-il pas trouver les moyens et la manière de mettre fin à cette affreuse domina-

tion par la terreur ?.

Ex-Cons. naz, Franc. Ball, Locarno.

Prof. B. Bouvier, Genève.

Cons. d'Etat, A. Calame, Neuchätel. Pastore Valdese Prof. P. Calvino, Lugano. Cons naz. Avv. Gius. Cattori, Bellinzona. Prof. Francesco Chiesa, Lugano.

Ex-Cons. di stato Dr L. Colombi, Bellinzona. Pasteur W. Cuendet, Zürich.

| _Cans. naz. E. Bossi, Lugano.

| Erof. Arthur Dubied, Neuchâtel.

Prof. A: François, Genève.

Cons. di stato, Avv. E. Garbani Nerini, Lugano. Prof. Philippe Godet, Neuchätel.

Prof. M. Grossmann, Zürich.

Prof. Dr L. Kôhler, Zürich.

Pfarrer H. Kober, Zürich.

Prof. À. Lombard, Neuchitel.

Martinet, Directeur de « La Suisse », Genêve. Prof. Matthieu, Zürich.

Prof. E. Morel, Neuchäitel.

Prof. O. Nippold, Bern.

Cons. nat. Prés. du Grand Cons. Marc Péter, Genève.

Cons. Nat. F. de Rabours, Genève. Prof. L. Ragaz, Zürich. Prof. G. de Reynold, Bern.

Fürspr. Dr H. Seeholzer, Zürich.

Pasteur Frank Thomas, Genève.

Director Th. Tobler, Bern.

Priv. Doz. Dr S. Tschulck, Zürich.

M. Aubert, Lausanne.

Billieux, procureur général, Porrentruy.

B. Bovet-Grisel, publiciste, Berne.

À. Brüstlein, anc. cons. nat., Berne.

E. Choulat, député, Porrentruy.

Otto de Dardel, conseiller national, St-Blaise.

Dr Dind, médecin, Lausanne.

Albert Eberhardt, professeur, St-Imier.

André Mercier, professeur à l'Université de Lausanne.

Louis Merlin, rédacteur du « Journal du Jura », Bienne.

H. Mouttet, juge d'appel, Berne.

Maurice Millioud, directeur de la « Bibliotheque Universelle », professeur à l'Université de Lausanne.

| Arnold Reymond, professeur, Neuchâtel.

René Rhym, notaire, Tramelan.

Bertrand Schnetz, rédacteur du « Démocrate », Delémont.

Jules Tissières, conseiller national, Martigny. Benjamin Vallotton, homme delettres, Lausanne.

* Publié partiellement dans la « Freie Zeitung », Berne, N°1, 1918. Publié dans les journaux croates reproduits par « La Serbie », 11 et 18 nov., Nos 45 et 46.

La Hongrie « millénaire » se resserre

Formation d’un nouveau parti gouvernemental

La fameuse démocratie magyare que | nous ‘entendons louer avec enthousiasme par des agents officieux et des naïfs, re{ourne-aujourd’hui à sa source, à ce conservatisme féodal et patriotique qui depuis très longtemps, depuis toujours, régit les destinées de la Hongrie. L’habile équilibriste en matière de politique intérieure, le président du Conseil hongrois, Wekerlé, a fondé un nouveau parti politique. Ce nouveau parti politique que Wekerlé ‘vient dé rapiécer avec le concours du comte Apponyi et du comte Andrassy est une organisation des forces conservatrices Conte les peuples opprimés en agitation et le mouvement qui commence à se manifester dans les milieux socialisies.

La coquetterie du gouvernement actuel avec la démocratie, coquetterie entreprise em vue de captiver la bienveillance des démocraties occidentales, s'est révéée quelque peu dangereuse. Les peuples opprimés de la Hongrie, exaspérés par les récentes mesures d’assujettissement, timoignent dune nervosité non dissimulée à la vue des événements extérieurs, qui tous portent la marque de Ja démocratie et de la liberté Ce fait leur donne l'espoir que l’œuvre d’oppression entreprise par les Magyars ne pourra pas durer éternellement et qu'un jour, avec l'appui de

l'Europe démocratique, ils arriveront à conquérir leurs libertés et leur indépendance absolue. Cet espoir des peuples qui couve sous tun Silence menaçant a montré aux Magyars tous les dangers qu'encoure leur « Etat millénaire et homogène », À quoi vient s'ajouter le mouvement prorlétaire d’un caractère maximaliste. Ces deux forces latentes ont réuni les maîtres actuels dans un même camp et à présent et après d’âpres luttes d’extermination, on peut assister à la douce collaboration de tous les partis magyars, de Tisza, Apponyi Andrassy, etc.

Le mouveau parti sera formé des suivants: le parti de 1848 de l'Indépendance avec Apponyi et le parti de la Constitution avec Andrassy «en tête. Les partis populaire et démocratique n’entreront pas dans le nouveau parti, mais néanmoins ils soutiendront le gouvernement et leurs représentants en feront partie.

Le programme du nouveau parti est le programme de tous les partis magyars, si l'on veut même du parti Tisza. La seule différence entre Tisza et le nouveau parti est, d'après la déclaration de Tisza, que ce dernier trouve le projet du suffrage universel trop radical. Autrement tous les points en sont acceptables.