La Serbie

: LA SERBIE Samedi 2 Mars 1918 — N9 1 FN EE, OU mr te ne

Les manifestations yougoslaves en Croatie-slavonie

Le « Pesti Hirlap » du 6 février nous renseigne sur le mouvement immense qui secoue notre peuple en Croatie. Il arrive et le porte vers la liberté et l'indépendance. On y trouve un document précieux sur l'état d'esprit chez les Yougoslaves de Hongrie.

Ces derniers jours, écrit le journal mage se sont passées dans la capitale de la

lavonie, Osjek, des choses qui doivent être portées à la connaissance non seulement de l’opinion publique magyare mais aussi des milieux compétents magyars. Il ne faut pas que nous ayons en Croatie les mêmes déboires que nous avons eus en Bosnie avec la Défense Nationalr’

Il est nécessaire de savoir que les idées Lt se répandentd’unefaçonénorme

travers la Croatie. Au cours de trois semaines trois nouveaux journaux de propagande ont vu le jour, deux à Zagreb et un à Osjek. Avec le consentement de la censure, ces journaux développent une agitation sans bornes en faveur de la réalisation de la Yougoslavie. Des essaims d'agents de cette idée parcourent le pays, et, munis de ressources provenant de fonds secrets fondent des journaux. Il y a quelques mois un hôtelier tchêque est venu s'installer à Osjek. Sa première tâche a été de rejeter audehors du café les journaux magyars. Le jour de l’an, on a fondé ici le journal yougoslave, le «Jug » (le Sud) qui propage l'union des Croates, des Serbes et des Slovènes.

Les Yougoslave ont utilisé le soixantième anniversaire de l’auteur Ivo Vojinovitch, célèbre par ses sentiments pan-serbes, dans un but de propagande, Vajinovitch, qui a été interné deux ans et qui a été accusé de haute trahison, parcourt maintenant la Croatie comme un réalisateur des rêves yougoslaves. À Osjek, il est arrivé le jeudi soir venant de Zagreb. À Dalj déjà, il fut reçu par Drogulin Saj, chef du département des travaux publics et par Bozidar Kocina, secrétaire du département financier. Ceuxci expliquent leur présence à cette réception par la grande admiration qu'ils ont pour Vojinovitch en tant que grand poète et non pas en tant qu'apôtre yougoslave. A la gare, le poète fut reçu par une jeunesse nombreuse, organisée par le «Jug». La jeunesse a chanté tous les hymnes slaves ef tous les chants interdits. À son arrivée, le poète fut reçu par le député de la coalition Rihard Kraus.

Alors on détela les chevaux et la jeunesse se mit en route ; ce qui est intéressant ce ne sont pas les vivats en l'honneur du poète, mais ceux poussés en l'honneur de la Serbie, du roi Pierre, de la Bohême, de l'Italie, de la Russie. On a même crié : A bas la Croatie!’ Lorsque le cortège arriva devant l'hôtel Royal, le grand propriétaire Sirovaska salua en tchèque l’éminent yougoslave. Une foule de plusieurs centaines d'hommes parcourut alors la ville, acclamant avec enthousiasme la Serbie, les frères serbes et les Yougoslaves.

Si, il y a quelques mois, quelqu'un était sorti dans la rue avec la cocarde serbe et avait poussé des acclamations en l’honneur du roi Pierre, il est certain que le tribunal d’Osjek l’aurait condamné à plusieurs mois de prison et auparavant il aurait été envoyé à la potence. C'est avec cousternation que nous avons vu aujourd'hui de tels faits se dérouler en présence de la police. Les

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Croates sérieux ont eu peur lorsqu'ils on vu les étudiants des écoles secondaires. ornés d’emblèmes serbes, crier à gorge déployée: Vive la grande Serbie! Vive Pierre !

Le lendemain, eut lieu au théâtre de la ville la représentation de gala. C’est le grand joupan, le baron Adamovic, qui a salué le grand Yougoslave. Après lui, le directeur de la fabrique Frynta, parlant au nom de la colonie tchèque, a salué le poète en le glorifiant et en glorifiant en même temps la solidarité des Tchèques et des Yougoslaves. Pendant le banquet, les Yougoslaves n’ont pas permis au député de la coalition Rihard Kraus de parler parce qu'il avait commencé son discours par l’affirmation que les membres de la coalition ne pouvaient pas encore parler ouvertement.

A cette occasion, nous voyons pour la première fois les Tchèques en colonie. Ils supposent peu-être que le moment est venu pour eux de sortir de l’obscuritè et d'aider, en se basant sur la résolution tchèque, les Yougoslaves dans la réalisation de leurs buts. La partie sérieuse des professeurs croates accuse le journal de « Jug » derépandre la contagion dans les âmes des écoliers et de les utiliser en faveur de sa propagande. Les écoliers lisent le « Jug» et terrorisent leurs professeurs. Nous vivons dans une époque grave et nous attirons l’attention des milieux magyars et du ban de Croatie sur ces faits ; on ne peut en effet rien apprendre des journaux d’'Osjek ; les journaux croates et les journaux allemamds ne publient rien à cet égard, les uns par conviction, les autres par peur. Le seul journal magyar d’Osjek a été interdit, il y a deux ans, par le ban Skerlerz pour s'être élevé contre de pareils faits et pour les avoir dévoilés.

Les journaux d’Osjek gardent le silence et oublient de dire que la population n’a pas célébré le poète, mais bien l’apôtre yougoslave dont on attend la fondation de la Yougoslavie et la libération du joug magyar (souligné dans l’original).

Le «Jug» a déployé à Osjek la même activité que celle entreprise autrefois pour la Défense Nationale serbe ; il fanatise la jeunesse. ’

Et que dire de la police qui a supporté, qu'au cours de la quatrième année de guerre, on lui crie aux oreilles : Vive la Serbie ! Vive l'Italie !

Il est caractéristique de signaler également que précisément ces jours derniers, le député Vassa Muacevitch est parti pour la Bosnie pour amener à Osjek quatre mille (4.000) enfants serbes qui y seront nourris. Il est aussi intéressant de noter que, pendant la représentation officielle au théâtre, la jeunesse « nationale » a manifesté avec des emblêmes serbes et a acclamé la Serbie. Les socialistes internationalistes (?) ont attaqué ces jeunes gens, leur ont enlevé leurs emblêmes serbes et ont roué de coups ces admirateurs de la Grande Serbie...

Enfin pour illustrer la véritable situation, ajoutons que le « Jug » pour une somme de 500.000 couronnes a acheté de ‘Julius Pfeiffer le journal « Die Drau ». Ainsi est tombé dans les mains des Yougoslayes le seul journal unioniste.

1 C’est Ia manifestation contre l'esprit régional et séparatiste.

Honneur aux femmes vougoslaves

Depuis la mémorable bataille de Kossova (1389), l’idée de l'union de toutes les tribus yougoslaves — Serbes, Croates et Slovènes — en un seul Etat indépendant, a toujours été l'idéal des Slaves du Sud.

Pendant des siècles tout parut conspirer à tuer cette idée à qui seule, l'épopée, relatant le glorieux passé, donnaït une forme concrète

A côté des Gouslars, ces bardes des temps héroïques, dont aucun Yougoslave n'entend sans émotion la mélopée tout imprégnée de l’âme nationale, les femmes ont été, pendant plus de cinq siècles d’un dur servage, les fidèles gardiennes de la langue et des traditions slaves. Dépositaires de l’idée nationale et du trésor folkloriste, elles se faisaient les initiatrices des générations successives.

Le noble vénitien Giovan Battista Giustinian, envoyé, en 1553, par son gouvernement en Dalmatie, écrit au sujet des habitants de Trau: « Les hommes savent tous la langue franque, mais, dans leur maison, ils parlent le « sclave » par égard aux femmes, dont très peu comprennent l'italien, et telle qui le comprend ne veut

veut parler que sa langue maternelle (1) ».

Mais, si la domination ottomane, comme du reste celle de la République vénitienne sur le littoral slave de l’Adriatique, cherchèrent peu à peu à dénationaliser les Slaves du Sud, il em est tout autrement des autres jougs qui leur succédèrent. L’asservissement aux Magyars (Hongrie) et aux Germains (Autriche) inaugure une ère d’exploitation et, surtout, de dénationalisation, dont l'intensité atteimdra son maximum sous le règne de Françoiïs-Joseph et qui est certainement lune des principales causes de la présente guerre. D'ailleurs, À partir du XIXe siècle, l'idée de l'union nationale ne risquait plus die disparaître; elle était matérialisée dams la petite Serbie indépendante, ce Piémont qui devenait nécessairement le centre d'attraction du monde yougoslave. :

Le rôle des femmes slaves m'était cependant pas achevé. François-Joseph avait

(1) Voir Giuseppe Prezzolini, « La Dalmatie», pi 23, traduit de l'italien par le Dr Lioubo

Raditch, — Imprimerie Commerciale, Genève, |

1917.

basé toute sa politique, à l'égard de Ses sujets $Slaves méridionaux, sur une pro fonde erreur de psychologie: il s'était figuré qu'on pouvait nier l’âme d'un peuple vivant, et d’un peuple qui possède une langue, une histoire glorieuse et la plus sublime épopée qui ait été écrite depuis Homère! Voici quel était son programme : Opposer, sous prétexte die différence confessionnelle, les Croates-Slavènes catholiques aux Serbes orthodoxes et mahométans; susciter des haines entre les frères du même sang; étouffer la conscience nar tionale; coloniser fièvreusement aux dépens des uns et des autres; diviser le pays yougoslave de telle sorte qu'il comporte actuellement onze administrafions séparées et quatorze législations différentes pour 7 12 millions d’âmes.

Toutefois lidée me miourait pas, la conscience nationale demeurait vivace dans la masse populaire; si l'on supprimait les écoles slaves, les mères cultivaient, au foyer familial, la langue et la tradition nationales. Et cette sourde opposition devint

si forte que les divisions: artificielles -de…

la bureaucratie ano-magyare ne suffirent plus; l’idée yougoslave triomphante renversait tous les obstacles ; dans un même élan d’enthousiasme, les frères si longtemps séparés s'étaient retrouvés.

Alors, pour conjurer le péril de cette évolution démocratique qui, déjà, opposait à la « raison d'Etat » le principe de nationalité et son corollaire le libre droit d’autodisposition des peuples, François-Joseph partit en guerre contre la. vivante incarnation de l'idée yougoslave, contre l'héroïque Serbie auréolée du prestige de deux campagnes victorieuses, mais anémiée, mais épuisée.

Si grande était l’aberration de ce sénile monarque, qu'il n'hésita pas à opposer les uns aux autres des frères qui non seulement n'avaient jamais lutté entre eux, mais qui s'étaient au contraire soutenus dans tous les moments difficiles de leur histoire. Sans doute, d’efficaces mesures avaient été prises pour fausser la vérité, et la terreur, les prisons, les potences parvinrent à contenir les populations slaves prêtes À se soulever em masse. « Des dizaines de milliers de familles yougoslaves furent exterminées, des hommes, des femmes, des enfants furent assassinés sans jugement et leurs biens pillés

-et anéantis. » D’autres milliers de leurs

frères (150.000 environ) furent internés ou pris comme otages; presque tout le reste de la population mâle fut envoyée au carnage et affectée aux positions les plus exposées au feu ennemi, de sorte que lés 600, des troupes yougoslaves sont tombés au cours de la première année de guerre

Berlin et Vienne avaient mal calculé; la campagne, qui devait amener une prompte victoire, traîna en longueur; les opprimés relevaient fièrement la tête, conscients de leur bon droit et de leur force, la révolution russe donnait à leur idéal national une impulsion nouvelle; ils revendiquaient un Etat indépendant el la liberté de disposer d’eux-mêmes, d’unir leurs destinées à leurs frères du royaume de Serbie. La crainte des prisons et des potences avait vécu et ce que le Comité yougoslave de Londres déclarait implicitement, les députés serbo-croato-slovènes Jde répétaient hardiment à la tribune du Reichsrat et du Sabor croate. La nation unanime, cette nation aux trois noms, devenait la vivante incarnation diu vieux proverbe serbe «um frère m'est cher à quelque religion qu'il appartienne », elle était enivrée de la grande idée qui, après une douloureuse gestation. de cinq siècles, emportait tout, submergeait tout, irrésistiblement. Dans le pays entier des manifestations publiques avaient lieu, les diverses organisations politiques, économiques et autres lançaient des adresses de sympathie au Club yougoslave et l’assuraïent de l’unanimité de tous les Slaves du Sud en faveur de lunich intégrale de leur race en un Etat libre et indépendant, À Zagreb, on acclamaït le grand poète dalmate, comte Iva Voïnovitch, l'apôtre ét le martyr de l’idée yougoslave et, dans les rues d’Osjek (capitale de la Slavonie) la jeunesse arborait des cocardes aux couleurs serbes et l’on criait « Vive la Serbie! Vive le roi Pierre! Vive l'Italie! »

La presse yougoslave dievenañt l'âme du En et l’on fondait même un grand quotidien qui rte ce titre suggestif: « L'Etat des nie des Croates et des Slovènes ».

Actuellement, les femmes n’oublient pas le rôle de celles qui qnt protégé et nourri la grande idée; elles se montrent dignes dé l’œuvre de leurs sœurs. C’est ainsi qu’en Styrie, en Carniole, en Carinthie, en Istrie, les jeunes filles et les femmes slovènes d’un grand nombre de municipalités ont spontanément voté des résolutions qui portent des milliers de signatures. Puiïsse le mouvement national yougoslave parvenir à Sa réalisation intégrale, puissetil illustrer d’un nouvel exemple le mot de Cairoli: « Il y a quelque chose de plus fort que toutes les armées: c’est l’idée hationale triomphante ».

Dr Victor KUHNE.

au Parlement.» : :

Un annexioniste autrichien

Hermann Wendel, le député au Reiïchsrat bien connu par ses articles de polémique sur les questions balkaniques, critique dans l«Arbeiter Zeitung» du 12 février le livre de Léopold Mandl «Les Habsbourgs et la question serbe». Voici le résumé succin: de cet article. |

Wendel rappelle la parole du comte Gorani : « Quel que soit le moment, on a toujours tort d’insulter une nation; avant de l'avoir vaincue, c’est une folie; après cest une lâcheté.» Mais — dit Wendel qu'est-ce qu'un scribe mercenaire officieux peut avoir de commun avec un gentilhomme français d'autrefois? Mandl à de tout temps insulté les Serbes, en temps de paix comme eñ temps de guerre, avant comme après leur défaite.

Le député allemand expose quels onf été les véritables motifs du conflit austroserbe. Celui-ci est issu de deux antagouismes. Tout d’abord, un politique entre un jeune Etat animé de la temdance toute naturelle de réunir tous ses frères de race sous le mêmetoitetumgrandEÆEtat composé denations,quivoit dans toute tentative d'unité une me nace contre sa propre existence et qui considère en même temps son voisin comme un obstacle sur la voie de ‘son «Drang nach Osten». Ensuile, un lantagonisme économique: d'un côté un Etat capitalistiquemenit peu DRE privé de toute issue directe sur le marché mondial, dont la classe paysanne désire voir les marchés voisins ouverts aux produits de son agriculture, dont la bourgeoisie aspire à voir ses frontières fermées aux marchandises étrangères, cela dans lintérêt de l'industrie nationale encore au berceau; d'autre part, un pays (dans lequel les grands propriétaires fonciers s'efforcent d’évincer la concurrence de ces petits agriculteurs, non seulement sur leurs marchés, maïs encore sur les marchés mondiaux et dans lequel les granids industriels veulent monopoliser l’État voisin comme constituantt pour eux ‘un débouché créé par Dieu pour leurs produits, Telles sont — d’arès Wendel — les véritables bases die la question serbe,

Mandl, mialgré toutes ses prétentions d'étudier « synthétiquement et nalytiquement » le conflit existant entre l’AutricheHongrie et la Serbie, n’a rien vu de tout cela, D’après lui, le conflit serbo-autrichien ne serait que la suite des « perfidies » ét des « infamiües » commises par les Yougoslaves et il semble croire très sérieusement que l'Autriche a joué uniquement le.rôle de ces gens pacifiques qui ne peuvent vivre en paix parce qu'un méchant voisin s'y oppose.

Seuls lPétat d'esprit engendré par la guerre et le manque complet desprit critique qui en est la conséquence ont permis qu'un écrivailleur ose publier quelque chose de pareil.

« Ces absurdités, conclut Wendel, ne mériteraient pas qu'on s'y altarde si elles étaient pas l'indice d’un appétit d'anmexion impudent ». À en croire Mandl, « les lois humaines comme les lois divines seraient d'accord pour condamner la Serbie À disparaître dans le sac autrichien. » L’annexionisme allemand est une apparition, déjà fort déplaisante, dit Wendel, mais cet annexionisme « jaune noir », qui se dissimule derrière des prétentions morales et religieuses, donne des nausées...

Le député Tresitch-Pavicitch et son discours

Le journal «La Hrvatska Drzava» du 26 1, publie un entrefilet concernant le démenti donné par l'attaché militaire austro-hongroïs à La Haye, relativement aux accusations formulées par le député Tresitch-Pavicitch au parlement de Vienne, discours qui a été reproduit par les journaux étrangers de l’Entente et des pays neutres ainsi que par une grande partie de la presse hollandaise.

Le journal croate s'étonne cependant que le gouvernement m’ait pas jugé bon de népandre aux accusations de Tresitch-Pavicitch auseinmême du parlement où le discours 4 êté prononcé.

— «Pourquoi? se demande la « Hrvatsk2 Drzava ».

— C'est parce que Tresitch a dit que tout ce qu'il avait avancé était appuyé sur des documents. Alors?»

Le même journal du 4, 2, reçoit de Vienne l'information que le club yougoslave a déposé une interpellation pour défendre Tresitch-Pavicitch contre les attaques effectuées contre lui par l’attaché militaire aus tro-hongrois de La Haye, Iszkowski, à la suite du célèbre discours qu'il a prono

antagonisme

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