La Serbie

“LA SERBIE

Samedi 10 Août 1918

Le 24 juillet a eu lieu à Mansion House, à Londres, la réunion inauguralé du Comité National Serbe (Yougoslave) pour la proclamation des buts de guerre serbes.

De nombreux personnages britanniques et alliés assistaient à l'assemblée présidée par le Lord Maire.

Le ministre de Serbie, M Yovanovitch,a déclaré, dans son discours, que le meurtre de Sarajevo n'était nulle part si profondément déploré qu'en Serbie. Mais cet attentat a servi de prétexte à une guerre préventive contre la Serbie. La Serbie ne désirait pas la guerre; celle-ci lui fut imposée, et il fallut bien se défendre Aujourd’hui il est établi que l’Autriche-Hongrie a délibérément provoqué la guerre avec le consentement de l'Allemagne. La guerre finie, un ordre nouveau devra être établi sur la base du droit des peuples de se gouverner eux-mêmes et de vivre dans l'indépendance et la liberté Depuis qu’elle s'est formée en un Etat indépendant, la Serbie a luitté pour lunion politique des Yougoslaves. La nation tout entière a travaillé à la réalisation de lunité nationale, ceux des Serbes, Croates et Slovènes, ceux qui vivent dans FEmpire autrichien aussi bien que ceux qui se trouvent dans les deux Ætats serbes libres, la Serbie et le Monténégro.

M. Wickham Steed, sur l'invitation du ministre de Serbie, a donné ensuite lecture de la résolution touchant les buts de guerre serbes (yougoslaves), qui se résument dans les quatre points suivants: 1. L'indépendance et l'union des Yougoslaves; 2 « Les Balkans aux peuples balkaniques ». L'Autriche-Hongrie, avec le consentement de l'Allemagne, a violé ce principe en occupant et en annexant la Bosnie-Herzégovine et en se mêlant des affaires intérieures des Etats balkaniques. Aucune hégémonie et aucune intervention sous n'importe quelle forme, dans les affaires intérieures balkaniques, mais un développement libre et indépendant des nations balkaniques, ce qui exclut naturellement toute prétention à la domination de l’une d’entre elles et ce qui conduit à une ligue des Etats balkaniques. 8. Réparation pour la dévastation des contrées habitées par les Yougoslaves. 4. Relations économiques et intellectuelles intimes avec les pays alliés, afin d'obtenir le meilleur appui et la meilleure défense pour lavenir de la nation et faciliter :e relèvement, suite de la catastrophe actuelle. Une Serbie restaurée, même élargie par une sortie sur la mer, ne pourrait que végéter sk elle restait, d'autre part, dans les conditions antérieures et n'était pas complètement unie à ses congénères dans un Etat ondépendant et un. Sinon, elle tombera sous la dépendance des puissances centrales. D'un autre côté, un Etat yougoslave uni serait un gardien Isûr des portes de l'Orient et en même temps le gardien de la paix dans les Balkans.

Le discours de M. Baliour

M. Balfour, accueilli par de vifs applaudissements, a prononcé le discours suivant: « Je suis certain qu'il my a personne dans cette assemblée qui n'ait pas écouté avec la plus profonde attention et avec la plus vive sympathie les constatations sui viennent d'être faites. La Serbie, avant cette guerre, était très peu connue dans les pays occidentaux. Mais la Serbie à été le centre autour duquel la guerre a tourné. L’ultimatum autrichien à la Serbie fut une des attaques les plus abominables et les plus injustifiées qui aient jamais été faites par une grande puissance contre une petite. Cet ultimatum a allumé le feu et produit une explosion, la plus grande, la plus destructive; la plus désastreuse que l’histoire du monde ait jamais connue. La Serbie A joué noblembent et vaillamment son rôle dans la lutte qui lui a été imposée. Si nombreux que soient les exploits d’héroïsme de tous ‘les peuples pendant ces quatre années de guerre, aucun exploit héroïque n’est aussi brillant et aussi illustre que la riposte serbe à l'assaut des forces

supérieures qui s'étaient jetées conire elle, gnvahissant son territoire et la brisant en apparence, mais, en réalité, laissant intact son esprit de patriotisme et d'indépendance qui brûle d’un feu peut-être plus ardent qu'avant la guerre:

Aujourd’hui que le monde a le loisir de considérer quelles sont les différences d'idées qui ont séparé les peuples civilisés en deux camps fortement opposés nous pouvons constater qu'en vérité le point essentiel dans ces différences concerne le traitement accordé par les grandes puissances aux petites, et les rapports réiproques d'Etat à Etat. Ce fut l’altaque autrichienne contre la Serbie et latlaque de l'Allemagne contre la Belgique, qui rappelèrent à la conscience de l'Humanité enlière les dangers que le militarisme représentait pour la civilisation. L'une après l’autre, les nations se sont rangées aux côtés des Alliés pour combattre ces tendances qui nous auraient jetés, les petits Etats aussi bien que les grands, parliellement sous la botte de l'Autriche, mais, en fait, sous la botte du maître .de lAutriche: l'Empire allemand. Le sud-est de l'Europe a été, pendant plusieurs générations, une source d’anxiété et de perplexité pour les hommes d'Etat européens C'était le centre des disputes; c'était le foyer d’où partit plus d’une foïs le bacille de la guerre. Lorsque je lis l’histoire de cette partie de l'Europe, je constate que, pendant qu’une évolution naturelle eL progressive — par les moyens pacifiques el en accord avec la civilisation — avait eu comme résultat dans d’autres parties de l'Europe, de grandes nations unies par le sentiment et la culture, dans des espérances et des aspirations communes, rien de tel n’avait été possible dans le sudest de l'Europe, à cause de linvasion turque. A mon avis, ce furent précisément les Turcs qui empêchèrent l'union du peuple yougoslave. Ce que les Turcs avaient commencé, la bureaucratie autrichienne a largement contribué à le compléter. Le régime austro-hongro:s sur les différentes nationalités de cet empire hétérogène, a été souvent d'une habileté particulière, mais rarement il s’est distingué par un esprit large, ouvert et humain. Le résultat a été que l'empire d'Autriche, formé de la même façon que les autres grands empires des temps anciens “— par les mariages, dans la plupart des cas n'a jamais été capable, et n'a jamais a$piré à devenir un Corps harmonieux, composé de tous les éléments des différentes nations qu'il abrite. ï

Ce fait suffit à lui seul pour montrer l'importance de la question d'Autriche, mais le mal que comportait cet état de choses a été mille fois aggravé par lt domination complète que l'Allemagne a réussi à imposer à l'Autriche. L'évolution de l'Autriche a amené ce résultat que Ja majorité des habitants d'Autriche-Hongrie sant gouvernés par une minorilé — minorité d’Allemands dans une partie, et de Magyars dans l'autre partie de 1 monarchie dualiste. l

Maintenant que l'Autriche est devenue un peu plus qu’une simple vassale de Allemagne, il est impossible de dire comment cet état de choses pourrait être changé sans l’appui des populations autrichiennes elles-mêmes, parce que cette minorité dominante, qu’elle soit allemande ou magyare, n’ignore pas qu'elle dépend. entièrement de l'Allemagne. Lorsqu'on sail que les Autrichiens, ces véritables mai-

_ tres de la Monarchie, dépendront toujours

de leurs voisins allemands, comment cônserver l'espoir que l'Autriche pourrait

d'elle-même, par ses propres efforts, se

transformer en nation libre, el. réaliser un régime de vraie liberté? Telle. est la lamentable certitude des races sujettes. De la Pologne, j'ai parlé assez souvent pour n’en rien dire de nouveall aujourd'hui. Quant aux Tehéco-Slovaques du nord de l'Autriche, et aux Yougoslaves du sud, un simple coup d'œil suffit à nous convaincre que ces deux races — qui ont les mêmes désirs et les mêmes aspirations — sont condamnées à rester pour toujours une majorité opprimée, Bi les puissances centrales sortent victorieuses de la guerre actuelle. Elles resteront éternellement contrôlées, gouvernées et, probablement, dénationalisées par Ja minorité allemande et magyare avec l'appui total des forces militaires allemandes. Voilà un des grands problèmes que résoudra, je l'espère, la guerre présente, Elle à dé-

montré jusqu’à l'évidence, à ceux qui pouvaient conserver quelques doutes, qu'uné nation sujette de l'Allemagne — laissez moi dire, plus clairement, une nation qui se trouve dans l'orbite de l'Allemagne peut être certaine que tout le poids de la machine bureaucralique et militariste allemande pèsera sur elle pour la forcer à entrer dans le cadre de l'Allemagne: Nous savons exactement comment l'Allemagne

procède avec d'autres Etats qui tombeni

en son pouvoir. Ces Elals sont condamnés à servir à la grandeur économique de PAllemagne; ils sont exploités jusqu’à l'os, afin de satisfaire à l'ambition allemande. Leur

* développement naturel est arrêté, délou rné

dans le but unique d’être mis en accord avec les principes de la culture germanique. Si cette guerre ne se terminait pas comme ælle se terminera, grâce à Dieu. par la victoire des Alliés, je ne verrais pas d’autres alternalives que celles que je viens de vous exposer. L'Europe future sera ce que j'ai dit tout à l'heure, el chaque Etat, contrôlé et dominé par l'Allemagne, se trouvera dans la même situalion que la Roumanie d'aujourd'hui, un serf, un jouet, une victime de la puissance de l'Allemagne.

Les Allemands sont d’ailleurs les ennemis héréditaires des races slaves. Pendant des siècles entiers, ils se trouvaïent en conflit avec eux et s’efforçaient de les dominer, mais cette domination n'a pas lpujours produit un résultat définitif. Cependant, en Autriche, sur les Tchèques, les Yougoslaves et les Polonais, de telles tenfatives ont abouti à la tyrannie abominable des Germains et l'esclavage malheureux des Slaves. C’est là l’histoire du passé. Espérons qu’elle ne se répèlera pas dans lavenir.

Les Allemands, soit délibérément, soil, comme je suis disposé à l’admettre, par incapacité nalurelle, ne sauraient comprendre l'idéalisme dant sinspirent les peuples alliés dans leurs actions. Ils parlent toujours de leur désir de paix, de paix allemande naturellement, sachant bien que.la paix est le grand désir, laspiralion générale de loutes les nations éprouvées. Mais ils ne comprennent pas que non seulement pour les peuples alliés, mais aussi pour tous les neutres imparliaux, il n'y a aucun parallèle, aucune comparaison entre les conséquences d'une victoire allemande ou d’une victoire alliée. Il n’y a rien d'aussi vrai que ceci: dans la mesure où lon aura la victoire alliée, l'idéal de la liberté nationale, de l'indépendance et du développement libre de tous les peuples se répandra dans le monde entier. Il est tout aussi certain que, si les Allemands sont victorieux, et dans la mesure où ils le seront, un-régime& de domination germanique, domination économique, spirituelle et politique, étendra son influence sur le monde entier. Il n’y a pas de comparaison possible entre ces deux résultats. Dans les guerres antérieures, la nation ou le groupe des nations victorieuses ont étendu leurs ferritoires, augmenté leur prestige et quelquefois obtenu des avantages matériels, mais jamais auparavant, dans l'histoire politique du monde, idéals aussi opposés ne sont entrés en conflit Ce ne sont pas deux groupes de nations combattant pour les territoires qui luttent pour la suprématie. Il s’agit aujourd'hui de deux idéals, l'un céleste et l’autre infernal, qui combattent pour la prédominance, et du résultat de cette lutte dépend le sort du monde. Le jour venu où la paix règnera de nouveau non pas une paix allemande ni une paix britannique ou française, maïs une paix de la civilisation — je crois que le ministre de Serbie aura l’occasion de s’occuper non seulement de son ancien pays, mais aussi de toute la race dont saf patrie n'est qu'un tronçon, et qu'il pourra dire que les Serbes jouiront pleinement des avantages obtenus par le sang si abondamment versé et les trésors sacrifiés.

Le docteur Benes, au nom des TchécoSlovaques, souligne la solidarité et l'identité des buts tchéco-slovaques gt yougoslaves dans la lutte contre les ennemis communs, Allemands et Magyars. La nation fchèque, déclara-t-il, constate la nécessité absolue de la disparition de PAutriche-Hongrie. Les Tchéco-Slovaques, en attendant leur libération, considèrent que la disparition de laMonarchie est une condition essentielle d’une paix juste et durable. Ni la question tchéco-slovaque ni cellé des Yougoslaves, Polonais où Rou-

mains ne peut êlre résolue séparément Toutes ces questions sont liées intime. ment entre elles et présupposent la des. truction de l'Autriche.

M. Wickham Steed a pris ensuite la parole pour déclarer que le docteur Benes est le représentant d’une nation qui combattit il y a déjà trois cents ans pour le même idéal qui fait s’armer aujourd'hui les Alliés Le docteur Benes esl un des membres du glorieux triumviral — les deux autres sont le professeur ‘Masaryk et le général Stefanyk — qui a guidé le mouvement national tchèque dans les pays alliés, et a constitué cetle armé tchéco-slovaque qui rend aux Alliés de si grands services en Sibérie. Après avoir exposé en quelques mots les buts et l’œuvrée de la Société Serbe de la Grande-Bretagne, dont le point culminant a ét6 la conclusion de l’accord italo-yougoslave signé à Londres au mois de mars dernier, M. Stecd ajouta qu'à l'avenir une tâche beaucoup plus grande élait dévolue à cette société et aux organisalions semblables: l'éducation de l'opinion publique britannique. Ce n’est que par léducalion et par la création dune forte opinion publique consciente, telle qu'aucun hommèé d'Etal ’oserait la méconnaître dans sa politique, que nous pourrons êlre sûrs que le jour où la paix sera proche — jour plug dangereux qu'aucune journée de bataille les intérêts suprêmes de la nation seront sauvegardés. On nous dit souvent que nous ne devons pas démembrer l'Autriche, comme si l'Autriche était un corps tendre et innocent que les méchants Alliés voudraient dépecer. En réalité, l'Autriche n’est qu'une grande vieille carcasse qui cherche à étouffer sous son poids un grand nombre de jeunes peuples aspirant à renaître. Nous devons aider à la renaissance de ces nations. Ce n’est qu'en formant en Europe une chaîne des Etats non germaniques que les Alliés apprendront au peuple allemand que la guerre n'est pas une affaire rentable, et qu'une force plus grande que celle du militarisme germanique est apparue dans le monde.

Qu'est-ce que lAulriche? se demande

lorateur. -Ce n’est ni un empire ni une nation démocratique, mais un sultanal di-rigé par un protecteur étranger. L'Autriche est un Etat sans âme dont les affaires ont été conduites uniquement dans l'intérêt de la dynastie et avec une inconcevable perversité calculée. Il y à trois forces, toutes les trois d'ordre internalional, qui ont sauvé l'Autriche, Il y en avait aussi une quatrième, l’ignorancee alliée, qui était la plus formidable de toutes. Ces trois forces sont la finance internationale, où l’or international; Pultramontanisme international où Je noir international et le socialisme allemand inlernational où le rouge international or, noir et rouge, les trois couleurs de la Pangermanie! Dans la lutte contre l’ultramontanisme, nous avons eu l'appui de nombreux prélats et de beaucoup de fils dévoués de l’église romaine. Même à Rome, on comprend aujourd'hui que les intérêts de la religion réclament la délivrance des peuples catholiques. La queslion des races sujettes de l'Autriche concerne directement l'avenir de la GrandeBretagne et des Alliés. Sans la constitution de la Tchéco-Slovaquie, de la Yougosla vie et de la Pologne, l'Allemagne ne sera pas battue, et Londres, Paris, Milan el Rome ne seront pas habitables pendant des générations entières. I1 n’y a pas de chemins faciles pour sortir de Ja guerre,

aucun chemin autour ni au-dessous d'elle.

La seule voie, c’est de passer par dessus et de marcher vers la victoire intégrale Les Alliés trouveront sur cette voie M appui puissant auprès des peuples oppli més de l'Autriche, décidés à se délivrer pour toujours des chaînes qui les lient aux chars des Habsbourg:

Le Dr M. Mitchich déclare, au no du Comité Yougoslave à Londres, que le sort des Yougoslaves d’Autriche-Hongrit est lié à celui de la Serbie, et la Serbie a mis en jeu tout ce qu’elle possédail pour accomplir sa grande mission «4e délivrance de ses frères du joug austro-hon grois. La lutte des Yougoslaves, qui dure déià des siècles entiers, ne pourra Cés ser que lorsqu'ils auront ‘obtenu leur liberté et leur unité Dans l'Europe libre et démocratique, il n’y aura plus de placé pour les peuples asservis.

Société Genevoise d'Edit. et d'Impr. — Genèva

La Grande-Bretagne ttes buts de guerre serbes-yougoslaves