La terreur à Paris

LES SALONS DE PARIS 931

Un prisonnier, Riouffe‘, qui eut le bonheur d'échapper à la dame guillotine, raconte ainsi la joie des braves prisonniers de la Conciergerie? :

« Nos cachots ont souvent retenti de longs éclats d’une joie insensée. Que serait-ce si je vous parlais de nos repas, plus philosophiques, il est vrai, que ceux de Platon, mais quelquefois aussi plus bruyants que ceux des amants de Pénélope? C'est là que notre rire avait l'air d'un vertige, et qu'on eût pu nous dire, comme aux prétendants dans l'Odyssée : « Ah ! malheureux, quel délire! vous riez, et vos têtes, vos visages, vos corps sont enveloppés des ombres du trépas! » Une table grossière rassemblait dix-huit ou vingt prisonniers ; souvent la moitié s’y asseyait pour la dernière fois. Ce repas était pour eux le dernier repas. Quelle était la surprise des nouveaux venus lorsqu'ils nous voyaient boire la gaieté dans la coupe de la mort, et mêler les chants de la liberté aux cris des bourreaux qui nous appelaient ? C’est à cette table que Ducorneau, la veille de son supplice, improvisait cette belle chanson, qui était comme le chant du cygne, et où il nous disait, en parlant de lui et d'un autre qui allait partager son sort :

Au dernier moment Socrate Sacrifie à la Santé ;

Notre bouche démocraie Ne boit qu’à la Liberté.

* Riouffe devint membre du tribunat, puis préfet de la Côted'Or et ensuite de la Meurthe. 11 mourut en 1818.

* Mémoires sur les Prisons, t. I.