La terreur à Paris

LES SALONS DE PARIS 9259

« Il fallait cependant prolonger notre triste existence jusqu’au moment fixé pour nous la ravir. On avait placé des tables et des bancs dans une partie des appartements qu'avait occupés M de Balbi lorsque Monsieur faisait sa résidence au Luxembourg; trois cents personnes pouvaient s'asseoir autour de ces tables ; c’est là qu'on nous réunissait une fois par jour seulement. Là, le traiteur Lereyde, pour cinquante sous provenant de la masse des effets, qu'on nous avait enlevés, servait dans de grands vases ou gamelles de fer-blanc une soupe détestable, une demi-bouteille de vin qui ne valait pas mieux; deux plats, dont l’un de légumes nageant dans l’eau, et l’autre toujours de viande de porc mêlé avec des choux ; nous avions avec cela, par jour, un pain de minution fourni par la République, et pesant, je crois, une livre et demie. Il n'y avait pas d'autre repas. Ceux qui voulaient déjeuner ou souper étaient obligés de réserver quelque chose de leur portion quotidienne, ou de se décider à faire diète.

« Comme nous étions environ de huit cents à mille personnes, il y avait trois diners : l’un à onze heures, l’autre à midi et le troisième à une heure.

« Là, qui que ce soit n’avait le plus léger privilège, le duc comme le savetier, l’octogénaire comme le jeune homme de vingt ans, la femme la plus délicate etle plus hautainement titrée comme le plus rustre manant, étaient obligés de manger l’un à côté de l’autre à la gamelle, s'ils voulaient manger encore. Il fallait apporter avec soi une bouteille pour avoir du vin, et une assiette pour recevoir la portion qu'on vous servait; sans cela on eût couru risque de n’avoir ni vin ni portion, et par conséquent de mourir de faim. Nous étions, pendant ce diner, conti-