Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures
CHAPITRE SEPTIÈME. 299
frais etl'on en voit se contenter d’un bœuf ou de quelques chèvres.
Tout ce cérémonial a pour conclusion un repas aussi splendide qu'on le peut, égayé par les chansons et les vivats, le tout à la charge du coupable. Telle est la £rvarina ou la dette du sang.
Quant à la vendetta elle-même, c’est de nuit qu'elle s'accomplit, et toujours elle est précédée de l'appel du chef de la famille menacée, auquel on annonce dans quelles limites doit avoir lieu l'expiation.
De jour en jour, heureusement, les scènes que nous venons de décrire deviennent plus rares dans la MontagneNoire. Déjà Pierre IT avait porté un rude coup à ces habitudes sanguinaires par de sévères édits, et son successeur, en introduisant dans son Code un article spécial relatif aux faits de vendetta, et punissant de mort le meurtre d’un innocent, accompli sous le prétexte d’une vengeance de famille’, a restreint de plus en plus une coutume qui finira peut-être par disparaitre complétement des mœurs tsernogortses. « Quel âge as-tu ? demandait-on un jour à un petit Monténégrin. — Dix ans. Ton père n'est-il pas mort? — Non, il n’est pas mort, il a élé tué, et moi je le vengerai. Ma mère et mon oncle le pope me l'ont fait jurer. » En face de cette froide et sombre énergie de l'enfant se sentant appelé à l'œuvre
1 Les Monténégrins et les Berdiani ayant l'usage des vendetta, nonseulement contre l'assassin et le coupable, mais encore contre son frère ou ses parents innocents, une semblable vendetta est rigoureusement défendue, et celui qui tuera un innocent sera condamné à mort. L'assassin seul, qui sera recherché par la justice, pourra être tué; on ne devra molester en aucune façon son frère ou ses autres parents, qui n'ont commis aucune faute; mais l'assassin, et aucun autre, payera le meurtre de sa tête. (Code de Danilo I, art. 39.)