Les fêtes et les chants de la révolution française

LA FÊTE DE L'ÊTRE SUPRÊME. 143

où cette fèle se préparait, la tête d'André Chénier tompait sur l'échafaud?

Je pense que cet ensemble de faits permet d'apercevoir clairement la progression du désaccord qui exista entre M.-J. Chénier et, sinon Robespierre en personne, du moins le gouvernement auquel l'histoire a associé son nom. L'interdiction des vers à l'Étre suprême n'en est qu'un épisode. Qu'un mot, une strophe, ou peut-être je ton de la pièce entière, ait déplu à Robespierre, cela peut être, nous n’en savons rien; en tout cas, ce ne fut qu'un détail, un prétexte : à regarder au fond des choses, c'est moins la poésie que le poète qu'on voulut écarter.

Encore Chénier put-il s'estimer heureux que son poème fût la seule victime. Les hommes de la Convention avaient quelques raisons de connaître les méthodes de gouvernement de Robespierre : ils l'avaient vu, pour inaugurer une politique nouvelle, vouloir, avec une logique implacable, que tout fût nouveau, les hommes d'abord, et, pour cela, supprimer ceux qui représentaient les tendances d'hier, ceux qu'on avait vus à l'œuvre depuis 1789, Danton, Camille Desmoulins. Chénier pouvait passer pour un de ces hommes-là : il y avait quatre ans qu'on entendait ses hymnes dans toutes les fêtes: naguère, il avait chanté la Raison d'Hébert : cela seul ne l'eût-il pas, aux yeux de Robespierre, rendu indigne d’être associé à la célébration de l'Étre suprème? Comme il n'était qu'un poète, on se contenta de supprimer ses vers. Mais s'il craignit pour sa personne, il faut avouer que cela était assez naturel. Et quand le cauchemar eut pris fin, ce fut en toute sincérité qu'il écrivit ce vers, commençant un hymne que Méhul mit -en musique :

Salut, neuf thermidor, jour de la délivrance!