Mémoire sur la Bastille
ANECDOTES ET CITATIONS 263
de la Grève, et nous ne pouvions pas nous dissimuler que l’on s’y préparoit à de nouvelles exécutions.
Je m’aperçus enfin que, de moment en moment, notre général donnoit des ordres secrets, et dont personne, excepté ses voisins, ne pouvoit se douter.
Pendant ce tumulte et ces incertitudes, j’entendis un jeune homme effrayé dire tout haut : « Faut-il donc compromettre tant de monde pour un seul homme? » L'un de nous lui saisissant le bras : « Malheureux ! vous voulez qu’on livre un citoyen généreux et notre défenseur, un citoyen innocent! c’est vous qui ne méritez plus de vivre, et je vais vous livrer en sa place. »
Quelqu'un, en peu de mots, termina ce différend : « Ne voyez-vous pas, Monsieur, que vous parlez à un sot; et ce sot est mon fils. »
Nous avancions dans la nuit, et les esprits n’en étoient pas moins agités dans notre salle, où l’on commençoit à s’ébranler. On y vouloit du sang; mais ceux qui en demandoient nous parurent avoir été payés pour souffler la discorde.
Le sergent qui avoit été vainement à la recherche du marquis de La Salle, et qui vouloit y retourner, revint avec son monde. Les lumières s’étoient éteintes, il en redemandoit d’autres. « C’en est assez, dit notre général. Mes amis, ajouta-t-il, vous êtes fatigués, et je n’en puis plus; croyez-