Mémoires sur Naigeon et accessoirement sur Sylvain Maréchal et Dalalande : lu à l'Académie des sciences morales et politiques
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Cette philosophie, assurément, n’est rien moins que plausible. A la prendre en toute rigueur, c’estle scepticisme pour commencer, et le matérialisme pour finir ; c'est le scepticisme contre le spiritualisme, et au profit du matérialisme : c'est, parle matérialisme, le fatalisme, l’égoïsmeet l’athéisme. Ces mots sont durs, je le sais, mais ils sont justes et précis : ils ne disent que ce qu'ils doivent dire; ils sont d’ailleurs acceptés, usités , célébrés par les plus conséquents, les plus hardis et les plus décisifs de ces écrivains, et ils ne seraient que faiblement désavoués, adoucis et atténués par les autres : la logique les commande, si la prudence ou la politesse du langage les élude et les écarte.
Donc, dans cette philosophie, on commence par douter, s’il est vrai même qu’on doute, et qu'on ne nie pas une chose pour en proposer en place une autre. On doute, et de quoi ? De l’âme d'abord, et dans l'âme, de son existence propre et substantielle, des plus excellentes de ses facultés ; et en particulier de la liberté; de Dieu ensuite, et surtout de ceux de ses attributs et de ses perfections, qui en font pour nous une providence ; c’est-à-dire qu’on doute de tout, car Dieuet l'âme retranchés, que reste-t-il encore à croire ? Rien, du moins, dans l’ordre moral : le néant y est fait; l'intelligence n'ya plus d'objet. Mais au fond, je l'ai déjà indiqué, on ne doute pas, ou l’on ne doute que pour la forme ; et le scepticisme n’est ici qu'un tour quel’on prend pour mieux arriver à cette espèce de dogmatisme, qui se nomme le sensualisme. En effet, on pose pour premier principe, qu'il n’y a rien dans l’intelligence qui n’ait d'abord été dans les sens ; et on en tire successivement pour principales conséquences , que l'âme est chose des sens ; que c’est le corps lui-même en une de ses