Musique exécutée aux fêtes nationales de la Révolution française : chant, choeurs et orchestre

FÈTES DES VICTOIRES, 21 SEPTEMBRE ET 21 OCTOBRE 1794. 69

«Mais un morceau qui a excité un enthousiasme général, e’estle Chant de querre de Chénier et Méhul. Vous vous rappelez sans doute les éloges que Platon, dans son livre des lois et Plutarque dans ses Opuscules, prodiguent à ce Tyrtée dontles vers brülent (sic) et la musique nerveuse animèrent{sic) avec tant de succès les Spartiates contre les Messéniens. Quand on entendit le Chant du Départ, l'on erut entendre le poète athénien, à ces mots: « Tremblez, ennemis de la France... » La fureur était peinte dans tous Les regards, et les spectateurs paraissaient tous agités.

On a dit qu'au moment où il composa le Chant du Départ, Ghénier se tenait caché, dans la crainte de Robespierre. Un détail que nul n’a fait encore remarquer, tend à le prouver. Sur une édition inoctavo pour voix seule, faite par le Magasin de musique, le nom du poète est remplacé par trois étoiles, celui du musicien est seul indiqué 1. Cet anonymat fut de courte durée, puisque dans l'annonce précitée du Journal de Paris (15 juillet), les deux auteurs sont désignés.

Tels sont les documents inédits ou inconnus que nous avions à divulguer ici sur la genèse du Chant du Départ, une étude technique en sera faite dans lechapitre intitulé Hymnes guerriers.

Deux mois et demi après la fête en l'honneur de la prise d'Ostende, on eut de nouvelles victoires à célébrer. La journée de la 5° sans-culottide de l'an IT (21 sept. 1794) eut un doublebut : la remise des drapeaux aux délégués des armées, choisis parmi les blessés de chacune d'elles, et le transport du corps de Marat au Panthéon, mais bien que ces deux cérémonies se soient pour ainsi dire enchaînées, elles n’en sont pas moins distinctes.

Suivant l’article 1° de la loi du 26 fructidor (12 sept.) l’Institut national de musique réuni au jardin national dès 8 heures du matin, annonça par une marche guerrière, l’arrivée de la Convention. Puis il exécuta une symphonie de Catel?, et l’on chanta l’Hymmne à la Victoire (p. 89.) avec accompagnement de grandorchestre,lequel fut suivi d’une grande fanfare de trompettes et de l'Hymne à la Fraternité. «Nous avonschanté la victoire» de Désorgues et Chérubini?. Alors, le président proclama hautement que les armées de la République ne cessaient pas de bien mériter de la patrie et les drapeaux destinés aux quatorze armées lui ayant été successivement apportés à la tribune, il attacha à chacun la couronne de laurier qui lui était attribuée et donna l’accolade à celui qui le portait ; pendant ce temps, la musique exécuta une symphonie de L. Jadin #. L’exécution du Chant du Départ mit fin à la première partie de la journée, la seule dont nous ayons à nous occuper présentement”.

Trois jours seulement s’étaient écoulés que l’on songeait déjà à organiser pour le ro vendémiaire, une autre fête « relative aux victoires rapides de nos armées et à l'entière évacuation du territoire républicain » (séance du 3 vendém. — 24 sept.). En présentant son rapport à la séance du 7, Chénier insista sur la nécessité d'imprimer aux fêtes nationales un caractère solennel, que la faiblesse des ressources ne permettait pas. La lecture de son projet amena diverses observations; Duroi pensant que l’allégresse publique ne devait pas seulement éclater à Paris, demanda que toutes les communes ayant un théâtre soient invitées à jouer pour le peuple et qu’à cet effet, la fête soit différée d’une décade. Ce jour étant déjà réservé à l’apothéose de J.-J. Rousseau, on se décida à reporter au 30 vendémiaire (21 octobre), la fête projetée6. C’est dans la même séance que Merlin de Thionville développa longuement ses idées sur les fêtes nationales et le rôle de la musique et qu’il présenta comme conséquence, une esquisse de la fête à célébrer, qui ne fut pas adoptée. Un nouveau plan soumis par Chénier le 27 vendémiaire (18 oct.) eut la préférence?. Aïnsi que Bourdon de l'Oise l'avait précédemment demandé, on renonça aux processions où

1 La bibliothèque nationale et ceile de la Ville de Paris au musée Carnavalet en possèdent des exemplaires.

? Probablement celle qui se trouve en parties séparées, dans la 5° livraison de Musique à l'usage des fêtes nationales (thermidor 11, août 1794). Elle est écrite à 2 parties de clarinettes, 2 de petites flûtes, trompette en ja, 2 cors en /a, 2 bassons, serpent, trombone basse, cimbales et grosse-caisse.

3 Cet hymne n'a pas été publié dans sa forme première « à grand chœur et à grand orchestre » c'est-à-dire our chœur à 4 voix avec accompagnement de {er et 2me violons, basses et contre-basses, petites flûtes, clarinettes, assons, serpents, cors en fa et cors en s? bémol, trompettes en fa et trompettes en si bémol et {lambour ture, dont

les parties détachées manuscrites, sont déposées au Conservatoire. L'absence des parties de hautbois ne nous surprend pas, ils n'étaient guère usités à l'époque:il en est de mème de celles des trombones que nous ne voyons point mentionnés sur le mémoire du copiste, mais le défaut de parties d'alto laisse à supposer que l’œuvre de Chérubini n'a pas été conservée dans son entier. Néanmoins on peut l’apprécier ainsi. Elle se compose d'un prélude pour les instruinents, d'un solo avec reprise par lechœur. Si ce n’est la réunion des instruments à archet aux instruments à vent et l'emploi simultané de cors et trompettes de tonalités différentes, il n’y a rien de particulier à signaler. Il a été fait une édition pour une voix avec basse chiffrée (Chansons et romances civiques n° 25) qui se vendait 4 sols et dont le magasin de musique fournit, en conséquence de l'arrêté du Comité d'instruction publique du {+ jour complémentaire an (17 sept. 1794), 17.000 exemplaires moyennant 2,550 livres, pour distribuer à la Convention, aux citoyens et aux 1# armées, à raison de 1.000 pour chacune.ll fournit aussi 18.000 exemplairesdu Chantdu Départ et du Chant des Victoires de Méhul, Enfin, l'hymne à la fraternité faït partie du Livre des époques pour chant et petite musique militaire, avec cette mention dont l'exactitude est contestable: « chanté dans le jardin national des Tuileries le 4* vendémiaire an n°, époque de l'anniversaire de la fondation de la République. »

“ Publite en parties séparées dans la 4 livraison de Musique à l'usage des fêles nationales (messidor 1rjuil. 1794); mêmes éléments que ceux énumérés à la note 2 ci-dessus. -

5 La fit: avait été ordonnée par un décret du 19 fructidor u (5 sept, 1794) et régite par une loi du 26 (Bull, des Lois no: 288 et 306), sur le rapport fait par L. Bourdon au nom du Comité d'instruction publique (Archives nationales Apvur 46 et 149). Par arrêté du même Comité en date du de jour complémentaire (17 sept.), l'Institut national de musique fut autorisé sur sa demande, à fournir 5000 exemplaires de chacun des hymnes, pour être distribués 4 chaque représentant du peuple, aux défenseurs de la patrie chargés d’un drapeau et aux citoyens.

* Rapport à la Convention par M. J. Chénier, le 7 vend, an nr (Bul. des Lois 1° série n° 349. — Arch. nat. AD vu 17. — Bibl. nat. Le #-969.— Le Moniteur, p. 42 et suiv.)

% Rapport sur la fête des Victoires... (Arch. nat, AD. vu, 47 et 49 vol. 8 p. 192. — Bibl. nat. Le %# 1009, 4006, — Moniteur, n° 34 du {er brum., p. 139),