Oeuvres littéraires : ouvrage orné d'un portrait
20 VISITE A BUFFON
c’est à diner qu'il met son esprit et son génie de côté ; là il s’abandonne à toutes les gaietés, à toutes les folies qui lui passent par la tête, Son grand plaisir est de dire des polissonneries, d’autant plus plaisantes, qu'il reste toujours dans le calme de son caractère ; que son rire, sa vieillesse, forment un contraste piquant avec Le s6rieux ét la gravité qui lui sont naturels, et ces plaisanteries sont souvent si fortes que les femmes sont obligées de déserter. En général la conversation de Buffon est très négligée!. On le lui a dit, et il a répondu que c’était le moment de son repos, et qu’il importait peu que ses paroles fussent soignées ou non. Ce n’est pas qu'il ne dise d'excellentes choses quand on le met sur
1. Sa manière est ordinairement peu de suite : il aime mieux les conversations coupées. Il est une raison de cette manière de converser, que l’on peut alléguer en faveur des gens de lettres : premièrement, ils n’ont plus, comme autrefois, cette habitude qu'avaient les philosophes de converser sous des platanes, avec leurs disciples, et de rendre compte de leurs idées. En second lieu, leurs idées sont bien plus combinées et plus réfléchies que celles des philosophes anciens. On a besoin de pensées neuves; le lecteur et les auditeurs les demandent; l’homme de génie, inexorable pour luimême, ne se permet donc qu'un petit nombre dé phrases, qu'il place de temps à autre dans sa conversation, à moins qu'il ne soit frappé, entraîné par l'attrait de quelque vue soudaine qui le domine, et dont il ne puisse éluder l'ascendant.