Oeuvres littéraires : ouvrage orné d'un portrait

46 VISITE À BUFFON

j'étais bien aise de savoir ce que M. de Buffon me dirait de lui-même, comment il s’appréciait ; et voici le tour dont je m’avisai.

Il m'avait demandé à voir de mon style, je craignais ce moment ; cependant l’extrême envie d'entendre ses observations, et de me former par ses critiques, me fit oublier les intérêts de mon amour-propre. Je lui récitai donc la seule chose dont je me souvinsse pour lors ; je vis avec plaisir qu'il ne corrigea qu’un seul mot, qu’il critiqua avec rigueur, mais avec raison, et il me dit avec sa franchise accoutumée : « Voilà une page « que je n’écrirais pas mieux. » Enhardi par cette première réussite, il me parut plaisant d'écrire une autre page sur lui-même, et de lalui présenter. Il était téméraire d’oser ainsi juger le génie en présence du génie même. Je pris le parti de comparer l'invention de M. de Buffon avec celle de Rousseau, me doutant pour qui, sans injustice, pencherait la balance. Voilà donc que je m'enferme le soir dans ma chambre, je prends l'Émile et le volume des Vues sur la Nature, je me mets à lire alternativement une page de l’un, une page de l’autre; j’écoutais ensuite les impressions que je ressentais intérieurement, J’en