Orateurs et tribuns 1789-1794

L'ESPRIT DES ORATEURS DE LA MONTAGNE. 24

toujours large et souple, va droit aux faits, non pour les défigurer et les tordre, mais pour s’y soumettre, s’y adapter et les comprendre. Avec un esprit de cette qualité, on va loin dans n'importe quelle voie : reste à choisir la voie. Mandrin aussi, sous l’ancien régime, fut dans un genre voisin, un homme supérieur; seulement, pour voie, il avait choisi le grand chemin. Il laisse gratter et prendre. Lui-même il a pris, autant pour donner que pour garder, autant pour soutenir son rôle que pour en jouir, quitte à dépenser contre la cour l'argent de la cour, probablement avec un rire intérieur et narquois, avec ce rire que les vieux historiens décrivent chez le Franc lorsqu'il empochait l'or romain pour mieux faire la guerre à Rome... Danton n’a ni le respect de lui même ni le respect d'autrui ; les délimitations précises et délicates qui circonscrivent la personne humaine lui semblent une convention de légistes et une bienséance de salon. Comme un Clovis, il marche dessus, et, comme Clovis, avec des facultés égales, avec des expédients pareils, avec une bande pire, il se lance à travers la société chancelante pour la démolir et la reconstruire à son profit. »

Un tel homme explique, à lui seul, le triomphe accidentel, la durée relative de la Terreur : elle vit et s’incarne si bien en Danton que, jui guillotiné, elle chancelle, tombe, disparaît au bout de quelques mois; il est vraiment, ce conducteur d'hommes, le chef, le génie de la Révolution violente ; les autres, Robespierre,

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