Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

CONSTITUANTE. 109

été que de tracer un tableau rapide de la révolution, comme on décrit un combat le lendemain du jour où il a été donné. Le vulgaire des observateurs n'a vu, dans ce spectacle étonnant que la France a présenté à l'Europe , que des hommes acharnés contre des hommes, et des passions luttant contre des passions. Mais les hommes éclairés de tous les-pays ont

aisément aperçu que c'était ici la cause de l'humanité toute

entière, et leur cœur s’est ému en attendant l'issue de ce com-

bat. L'espèce humaine peut être long-temps dégradée.et avilie

dans les pays où il n’y a qu'un maître, une opinion, une loi,

et un livre; car le despotisme s’emparant de ces rênes faciles,

il retient à jamais sous le joug des troupeaux d'hommes dont

la raison ne fait aucun progrès. Là, changer d’opinion est un

crime, parce qu’en effet c'est désobéir au maître et à la loi;

mais chez les peuples qui lisent et qui étudient, les hommes

se dégagent insensiblement de l'ignorance, et de l'erreur pire qu’elle, pour arriver infailliblement à la vérité, car il n’y a point de bornes à la perfectibilité de notre raison. Là,changer

d'opinion est une vertu , parce qu’en effet c’est secouer le joug de l'erreur. Là , les tyrans de la pensée sont les plus odieux des hommes, parce qu’on les regarde comme les ennemis de l’espèce humaine dont ils voudraient retarder les progrès : ils dégradent, autant qu’il dépend d'eux, le chef-d'œuvre de la nature.

La révolution francaise a donc été le produit des lumières , qui avaient pénétré, plus que chez d’autres peuples , dans toutes les classes de citoyens. Elle a commencé du momentoù les hommes ont réfléchi, les fautes de trois règnes l’ont mürie, la résistance des privilégiés l'a accélérée, et l’impétuosité francaise la consommée. Lorsque Bacon faisait ses premières expériences, lorsque Montagne doutait, lorsque Baylese faisait l’avocat-général de la philosophie, ils préparaient la révolution de France. Mais les lumièresde la raison appartiennent à tous les peuples et à tous les pays, et il n’est au pouvoir d'aucun corps d’en retarder aujourd’hui les progrès. Elle continuera donc son ouvrage avec cette lenteur et cette sagesse qui font mûrir les événemens sans les précipiter: et tandis que la France achevera la latte pénible dans laquelle elle est engagée, les peuples de l'Europe ne verront pas sans émotion s’accomplir ces destinées étonnantes de qui dépendent les destinées de l’univers.