Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3, S. 254

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leurs compagnons. L’Africain déchaîné marque sa fureur par \des inventions de nouveaux supplices { tant les hommes savent inventer en ce genre): un malheureux colon est scié entre deux planches ; les femmes... non, je ne puis achever. Bientôt la campagne n'offre plus qu'un monceau de cendres; déjà il ne reste plus rien de douze cents cafeteries et de deux cents sucreries ; et le bruit de ce désastre va porter la joie parmi les politiques et les spéculateurs de Londres! Ce qui reste de colons va se réfugier dans la ville du Cap, triste asile, où de nouvelles fureurs devaient bientôt les engloutir. L'histoire consacrera-t-elle un fait qui, dans ce temps-là, fut affirmé, mais qu'au milieu de tant d’horreurs on ne peut concevoir encore? Plusieurs blancs allèrent chercher un refuge parmi les colons espagnols; on prétend que ceux-ci les livraient, pour trois portugaises , à la vengeance des nègres. La révolte s'était moins étendue dans la partie de l’ouest, mais les hommes de couleur s’y livrèrent à des passions féroces ; ils portèrent l’incendie dans la ville du Port-au-Prince. Quand on apprit en France ces malheurs et ces crimes, les ames, loin de se réunir par les sentimens d’indignation et de pitié qui leur étaient communs, s’aigrirent encore davantage. Le penchant au soupçon qui était entré dans le cœur des Français, s’y fortifia. On se regarda comme destiné à vivre dansun siècle d’horreurs; on chercha moins à les prévenir, qu’à les faire tomber sur ses ennemis. Chaque parti s'accusa réciproquement d’avoir, pas ses imprudences, ou par ses perfidies, donné lieu, soit aux massacres d'Avignon, soit à ceux de SaintDomingue. Claude Fauchet, homme d'un esprit faux, d’un caractère emporté, reprocha au ministre Delessart, d’avoir différé, à dessein et dans une atroce pensée, de mettre à exécution le décret qui unissait Avignon à la France. Il voulut faire rejaillir sur lui tout le sang qui avait coulé. « Ce n’est point, » s’écria-t-il, dans un transport qui fit frémir toute l’assem»* blée, ce n’est point la mort que je souhaite à ce ministre ; la » mort n’est qu’un supplice du moment. Qu'il vive, mais qu'il » soit condamné à respirer l'odeur des cadavres enfermés sous » la Glacière. » L'homme qui forma cet exécrable vœu, était cependant un prêtre! | Brissot attribua tous les malheurs de Saint-Domingue à la faiblesse de l'assemblée constituante , qui avait refusé aux hommes de couleur la plus juste demande. Le parti opposé les attribua à Brissot, le plus véhément, et le plus actif des ennemis de l'esclavage des noirs. L'assemblée disputa long-temps sur un désastre dont il était devenu difficile d’arrêter les progrès ; la discussion fut orageuse. Brissot persuada à l'assemblée, qu’il fallait désormais employer tous ses soins à calmer les hommes de couleur; les droits politiques leur furent accordés.