Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

82 CONVENTION

» pour reprendre leur poste.— Etait-ce à un prêtre assermenté ou insermenté que vous ailiez à confesse, à Caen?» Je n’allais ni aux uns ni aux autres.—Quellesétaient vos in» tentions en tuant Marat ?—De faire cesser les troubles de » la France.—Y avait-il long- temps que vous aviez formé ce » projet? — Depuis l'affaire du 3x mai, jour de la proscription » des députés du peuple.—C'est donc dans les journaux que > vous avez appris que Marat était un anarchiste? —Oui; je » savais qu'il pervertissait la France. J'aitué, ajouta-t-elle, » en élevant éxtrêmement la voix, j'ai tué un homme pour » en sauver centmille ;un scélérat ; pour sauver des innocens, » unebête féroce pour donner le repos à mon pays. J'étais ré» publicaine avant la révolution, et je n’ai jamais manqué dé « nergie.—Qu'entendez-vous par énergie ?— J'entends par » énergie le sentiment qui anime ceux qui, mettant l'intérét » particulier de côté, savent se sacrifier pour leur patrie.» Durant son interrogatoire, elle s’aperçut qu'un homme était occupé à peindre ses traits; elle se tint tournée vers lui sans affectation. Elle avaitun défenseurofficieux, c'était Chauveau-Lagarde. La manière dont il défendit l’accusée plut à ette ame fière. Voici ce discours : « L'accusée avoue avec sang-froid l'horrible attentat qu’elle » a commis; elle en avoue avec sang-froid la longue prémédi» tation: elle en avoue les circonstances les plus affreuses ; en » un mot, elle avoue tout ,et ne cherche pas même à se jus» tifier : voilà, citoyens jurés, sa défense toute entière. Ce » calme imperturbable et cette entière abnégation de soi» même, qui n'annoncent aucun remords en présence de la » mort même; ce calme et cette abnégation, sublimes sous un » rapport, ne sont pas dans la nature; ils ne peuvent s’expli» quer que par l’exaltation du fanatisme politique qui lui a » mis le poignard à la main; et c'est à vous, citoyens'jurés, à » juger de quel poids doit être cette considération morale dans » la balance de Ja justice : je m'en raporte à votre sagesse. » Lorsqu'elle entendit prononcer sa condamnation, elle eut un mouvement de joie, comme si elle eût tenu sa récompense. Elle remit ensuite au président deux lettres, l’une adressée à son père, l’autre à Barbaroux. Cette dernière, trop longue pour être rapportée ici, est remplie d'élévation et de grâces. « Nous sommes, y dit-elle, si bons républicains à Paris. que l'on ne concoit pas comment une femme inutile, dont la plus longue vie ne serait bonne à rien, peut se sacrifier de sang-froid pour sauver son pays... Je jouis délicieusement de Ja paix depuis quelques jours. Le bonheur de ma patrie faitle mien.» Voici la letire à son père. * « Pardonnez- moi, mon cher papa, d’avoir disposé de