Relation des faits accomplis par les révolutionnaires genevois de 1794 à 1796 : extraite d'ouvrages contemporains, et suivie de documents inédits

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nourricière de nos prospérités passées et présentes, avait pris et donné, vers les arts et vers les sciences, un essor qui faisait oublier la petitesse de Genève, et qui, sous ce rapport, l'avait placée de pair avec de grands Etats. Tels en avaient été les fruits, que, depuis le commencement du siècle, notre population avait doublé, les fortunes avaient décuplé, ainsi que les lumières, et les étrangers ne se lassaient point de venir admirer les merveilles de la liberté et de l’éducation publique, dans une petite peuplade de trente mille âmes, qui venait de produire, tout à la fois, dans les arts, dans les lettres et dans les sciences, un aussi grand nombre d'hommes distingués, qu'aucun des trois royaumes du nord de l'Europe.

À peine pouvons-nous saisir le souvenir de cette époque de réunion, de paix et de prospérité, tant elle a été courte; puisqu'à peine notre liberté se fut-elle relevée du coup de vent despotique qui l’avait abattue pendant quelques années, qu'un nouvel ouragan destructeur, soufflant du même quartier, mais prenant, cette fois, le nom de la liberté qu'il venait renverser, a déraciné à jamais avec elle toute moralité, toute religion, et toutes les vertus qui lui avaient servi de sauvegarde.

En effet, dès que la France eut résolu, en 1792, d'attaquer le roi de Sardaigne, des avis certains nous vinrent de Paris, que le général Montesquiou, chargé de cette expédition, recevrait des ordres secrets contre Genève. Ces ordres étaient dictés par le parti brissolin, qui, comme on le sait, avait formé le projet d’environner la République Française d'une ceinture de

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