Rouget de Lisle : sa vie, ses œuvres, la Marseillaise

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m'a forcé de l’interrompre; évidemment bien cruel en effet puisqu'il me laisse vivre !.… N'importe, continuons.

« Les premières angoisses sont passées; mes forces, mon courage se raniment: essayons de mettre fin à la tâche que je me suis imposée, ne fut-ce que pour éprouver s’il me reste quelques facultés intellectuelles, quelque mémoire ; et si, ne pouvant plus écrire, je puis du moins, avec le secours d’une main étrangère, transporter sur le papier mes idées devenues si fugitives!…

(Je jouissais avec transport du Spectacle dont tout à l'heure je crayonnais une faible esquisse, et combien S'y mêlaient de souvenirs tendres et douloureux! C’est ici, c’est sur ce balcon entouré d’un magnifique chèvrefeuille, que, chaque soir d’été, ma bonne mère assemblait sa nombreuse et naissante famille et présidait à ses jeux; que chaque soir, au retour de la chasse, moi-même, adolescent alors, après avoir satisfait à Ja sollicitude paternelle, je m’associais à la gaité bruyante des enfants; les charmais en leur contant mes exploits de la journée, et surtout ceux par lesquels j'avais failli m'illustrer; ou bien, assis près de ma mère, un bras sous le sien, les yeux allachés sur ses traits ravissants de douceur et de tendresse, je m’enivrais du bonheur de la contempler, de l'entendre, d'entendre ces douces et sages paroles qui, mieux suivies, m’eussent guidé plus sûrement dans le dédale de mon orageuse carrière, À l’une des extrémités du balcon, et presque de plain pied, se trouvait mon cabinet de travail, où l’on avait conservé de la lumière, et dont la fenêtre ouverte me donnait toute facilité pour considérer, dans l’intérieur, deux portraits qui y étaient appendus. L’un, celui de ma mère, en fac de la croisée, me souriait et semblait se réjouir de me voir fixé dans un séjour qu’elle aimait, et qu'elle avait toujours désiré que j’habitasse avec elle; l’autre était celui de la der-