Souvenirs des campagnes du lieutenent-colonel Louis Bégos, ancien capitaine-adjudant-major au deuzième régiment suisse au service de France

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fis donner à manger à mes pauvres soldats, que je consignais à la caserne, et j’allai me coucher moimême, pour la première fois depuis bien des jours: C’est alors que je fis raccommoder ma chaussure : j'avais marché trente-six heures sans semelles, exercice très fatigant, je l’assure.

.J’ai dit mes soldats, et j'ose parler comme cela, car j'étais presque le seul qui eût conservé la force d’en avoir soin. J’arrivais à mes fins par de bonnes paroles et quelquefois par le bâton, qu’il fallait faire jouer pour les réveiller, et surtout pour maintenir l’ordre et la discipline. Quant à mon colonel, il chevauchait assez paisiblement sur son cheval, dormant par moments, et ne s’inquiétant guère de son pauvre bataillon, qu’il considérait comme perdu. Les autres officiers étaient en général trop occupés de leurs personnes pour s'inquiéter du soldat. Au milieu de toutes ces contrariétés, j'avais encore un chagrin personnel. Mon excellent ami Prudhomme, de Rolle, succombait à l’excès de la fatigue. Je fus obligé de le soutenir toute une nuit par le bras. Le besoin de reposetde nourriture lui avait presque fait perdre la raison ; aussi fus-je obligé, le cœur navré de chagrin, de lé laisser avec le quartier-maître dans un village à