Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

GUERRE D’ESPAGNE EN 1808 ET 1809 435

des ânes. Les charrettes étaient attelées de bœufs et les roues de ces voitures tournaient avec l’essieu qui, par son contact avec le corps de la voiture, produisait un son semblable au braïment de l’âne. Qu’on se figure l’agréable symphonie résultant du passage d’un convoi pareil! Les animaux étaient tellement habitués au cri de leurs essieux qu'il n’était plus possible de les faire marcher s'ils cessaient de l'entendre. Le maréchal, ayant pitié de nos oreilles, ordonna qu’on graissät les voitures : aussitôt tous les bœufs s’arrêtèrent. Les mulets servaient à la généralité des transports. Presque tous les bagages prenaient place sur le dos de ces animaux. Le vin même, qui s’entonne dans des peaux de bouc dont on a imprégné la partie poilue dans du goudron, et que l’on a retournées après avoir noué les quatre pieds, voyageait de cette manière. Les muletiers désignaient leurs mulets par des noms et des grades militaires, tels que la colonella, la capitanna, la lieutenanna, la généralla ; ils en avaient grand soin et les paraïent de plumets, de grelots et d’une foule d’ornements. Ils grondaient ces mulets comme ils eussent fait d’un palefrenier et les menaçaient en disant : « La colonella, je te retirerai ton grand plumet et tes grelots; je t’attacherai derrière la voiture et tu resteras là comme un poltron, comme un grand lâche devant tout le monde. » Et la colonella, pour éviter cette humiliation, se mettait à marcher de plus belle. Quant aux ânes, ils se comportaient