Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

GUERRE D’ESPAGNE EN 1808 ET 1809 145

mari était général au service de La Romana. La marquise recevait une brillante société, au milieu de laquelle je me plaisais On jouait le soir au bassiga, sorte de jeu de cartes du genre de l’impériale. J'avais remarqué, dans cette maison, une jeune Américaine dont le mari paraissait fort jaloux. Toute entreprise galante ou même de simple courtoisie nous semblait pourtant interdite par les événements tragiques qui se passaient chaque jour : on trouvait fréquemment des officiers français assassinés dans les rues. Il n’en coûtait qu'une piastre, donnée à un matelot espagnol sur le port, et qu’un geste désignant la victime, pour que, le soir, elle reçût, sans savoir même d'où il était lancé, un poignard dans le cœur. Notre camarade Duhamel périt de cette manière. Mme de Belesta, voulant m'épargner le même sort, me prévint que le mari de ma jeune Américaine avait dit qu'on se débarrasserait de moi; elle me conseilla, en conséquence, de ne plus m'occuper de la belle étrangère et de supprimer même mes sorties du soir.

Le maréchal aimait peu le jeu; cependant il passait pour fort aux échecs, à tel point que le fameux Deschapelles, le premier des joueurs de notre époque, crut devoir venir de France se mesurer avec lui. Notre temps se passait à des parties d’écarté. Il y avait plus de 40 000 franes en or dans notre état-major; cet or passait tour à tour dans chaque main. On empruntait au gagnant

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