Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

GUERRE D'ESPAGNE EN 1808 ET 1809 147

Clouet avait un talent de chanteur hors ligne; le maréchal, à sa prière, fit venir les castrats et les musiciens de Santiago, dont la réputation était fort grande. Grâce à la réunion de ces artistes, nous eûmes des soirées de musique sacrée fort remarquables (1).

Nous avions spectacle trois fois par semaine. On jouait des opéras; les entr'actes étaient remplis par des danses espagnoles accompagnées de castagnettes. Le fandango surtout nous frappa par

(1) A notre état-major se trouvaient en outre deux officiers, qui y avaient été envoyés par l'Empereur. L'un était Esménard, frère de l’auteur du poème sur la Navigation; l'autre, Bory de Saint-Vincent. Ces deux officiers avaient chacun une mission particulière en dehors du service actif, auquel ils n'étaient pas assujettis. Esménard, qui avait précédemment habité l'Espagne, communiquait avec les habitants et éclairait le maréchal sur tout ce qui se passait en dehors des mouvements militaires. Ses connaissances locales, ses notions sur les mœurs espagnoles, le mettaient en rapport avec une foule de personnes qui pouvaient renseigner le duc d’Elchingen et l'aider à prendre une direction.

Bory de Saint-Vincent avait une facilité merveilleuse pour la levée à vue des plans. Dans un territoire aussi ondulé que celui de l'Espagne et où les positions étaient si difficiles à déterminer, cette faculté était bien précieuse. Souvent Bory montait à cheval et parcourait un rayon de deux ou trois lieues; il dressait un plan avec une telle perfection qu'on aurait cru que son travail était gravé. Bory savait en outre se faire remarquer par son patriotisme et son esprit. Dans nos soirées, il se plaisait à attirer notre attention sur un sujet sérieux; il entamait un discours sur la matière, puis, quand ‘il avait captivé ses auditeurs, il aimait à les égarer dans des digressions qu'il parsemait de traits et de récits incohérents, sachant allier les mots, les lieux, les choses les plus contraires, sans jamais cesser de se faire écouter. C'était une sorte d’éloquence dans laquelle il excellait; c'était, si je puis m’exprimer ainsi, l’éloquence de la blague. Bory, en quittant l’état-major du maréchal Ney, fut atta ché à celui de Soult et là il devint colonel. (Note d'O. Levavasseur.)