Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

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le bonheur de rendre au frère de ce malheureux la somme que je lüi devais et dont je conserve le reçu. C'était le dernier adieu de cet officier, car sa famille ne Le revit jamais.

Pendant ce second séjour dans la capitale de l'Espagne, je cherchai à reconnaître si lesprit public était changé et si nous avions fait quelques progrès dans l'estime des habitants. J’acquis la pénible conviction que tous nos efforts pour conquérir des amis restaient inutiles : on me tint le même langage que six mois auparavant. Cependant, les Espagnols éclairés disaient que notre apparition produirait un grand bien dans l'avenir et qu’elle les soustrairait au tribunal de l’Inquisition, qui les faisait tous trembler. Mais c'était la seule concession que voulussent bien me faire mes interlocuteurs. Rien ne pouvait tirer de son apathie ce peuple, qui se croyait encore aussi riche qu’au moment où le Pérou lui donnait à la fois et l’or et la misère, enlevait sa population, détruisait les impôts et, par suite, le travail qui doit les produire. Vainement le roi déployait un grand luxe dans ses palais; vainement ses huit mules caparaçonnées d'or, sa livrée étincelante de broderies, le promenaient chaque jour dans les rues de Madrid : le peuple ne voulait pas croire au bonheur sous la domination étrangère.

Jourdan me fit partir avec un ordre cacheté. Je repris la route en tâchant d’abréger ma marche et