Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

LA CAMPAGNE DE RUSSIE 173

Je voyais aussi beaucoup à cette époque M. le comte de Belderbusch, ancien préfet de l'Oise, récemment nommé sénateur. Parent de la plupart des vieilles familles princières de l'Allemagne, il avait conservé dans ses manières le cachet d’aristocratie propre à ces contrés; fort libéral d’opinions, fort généreux de caractère, il faisait un noble usage de ses richesses. Il attirait chez lui tous les hommes de talent et d'énergie. Au nombre des principaux habitués se trouvaient Michaud, Van Praët, Mercier, l’auteur des Tableaux de Paris, esprit original, étincelant de saillies. Un jour, M. de Belderbusch montrait sa bibliothèque, où se trouvait à remplir une case : « Qu'y mettrai-je? demanda-t-il à ceux qui l’écoutaient. » « Cette place, dirent les uns, doit recevoir une statue de l'Empereur. » Les autres choisirent Homère, César, ou le silence. « Mon avis est, dit Mercier, ennemi de l'Empereur, que ne voulant pas y mettre Alexandre, c’est la place de Diogène. » Mercier, d'un qu'elle paraissait aux Tuileries, des curieux se pressaient, guettant au passage un propos comme « Ah! te voilà, mon b...» ou quelque aménité de ce genre. Je connais un de ces curieux qui fut bien attrapé. Il était déjà depuis longtemps à la piste et s’ennuyait de ne rien entendre, lorsque le fils de la maréchale, jeune sous-lieutenant de hussards, portant l'uniforme exigé pour l'étiquette de la Cour impériale, s’approcha de sa mère; il avait quitté son sabre pour danser, et se présentait devant une dame pour faire son invitation; la maréchale l’arrêta. « Mon fils, lui dit-elle, ne déposez jamais votre arme au moment où vous allez parler à une dame, ne l’oubliez pas. » Assurément le courtisan le plus raffiné n'aurait pas mieux dit. Notre curieux

emporta de la maréchale une tout autre idée que celle qu’on avait cherché à lui inspirer. (Note d'O. Levavasseur.)