Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

216 SOUVENIRS D'OCTAVE LEVAVASSEUR

Le maréchal partit avec Lichtenstein et je les suivis tous deux.

L'Empereur était seul près d’un feu de bivouac, sur la grande route, à un quart de lieue de Troyes; à trente pas en arrière, se trouvait un autre feu, autour duquel étaient les aides de camp etofficiers d'ordonnance, Gourgaud, Drouot, d'Hautpoul entre autres. Nous mîmes pied à terre; le maréchal Ney prit la droite de l'Empereur, le prince de Lichtenstein sa gauche, et je m'arrétai au centre, presque en face de Napoléon : « Sire, dit le prince, j'apporte à Votre Majesté la paix aux conditions qu’elle a ellemême dictées à Châtillon-sur-Seine; ainsi, dès ce moment, que toute hostilité cesse : les souverains alliés vous demandent à vivre désormais en frères avec Votre Majesté (1). »

Dans ce moment solennel, je regardais cet homme, qui tenait le sort du monde entre ses deux mains; la flamme du bivouac s'élevait entre nous deux, et la figure de Napoléon brillait au milieu d'elle comme s’il eût été le génie du feu.

L'Empereur se retournait, les mains derrière le dos; il marchait, piétinait en pivotant sur luimême; levant enfin les yeux vers le ciel, il réfléchit pendant quelque temps. puis, fixant le maréchal Ney, il dit : « Eh bien! Ney, nous sommes

(4) Le congrès de Châtillon était ouvert depuis le 4 février et les conférences allaient se succéder jusqu'au 18 mars, sans résultat d’ailleurs. Seul le traité de Chaumont, signé le 4e mars, resserrait l’alliance des souverains alliés. (Note de l'éditeur.)