Trois amies de Chateaubriand

MADAME RÉCAMIER 905

Mme de Boïgne demanda au violent orateur si ce discours était, à son avis, l’œuvre d’un bon citoyen... « Je n’aï pas la prétention d’être un bon citoyen! » répliqua-t-1il. Elle lui demanda s’il croyait que ce discours fût le moyen de faire rentrer Charles X aux Tuileries. Il s’écria : « Dieu nous en garde! Je serais bien fâché de ly revoir! » Alors, ne valait-il pas mieux se rallier à ce qui, présentement, pouvait encore entraver l'anarchie? Mme Récamier intervint, raconta que Mme de Boïgne était allée au Palais-Royal le matin même, qu’on y faisait grand cas de Chateaubriand et qu’on lui donnerait l’ambassade de Rome volontiers. « Jamais! » cria Chateaubriand. Il se leva et il se mit à déambuler de long en large, à l'extrémité du cabinet.

Les deux dames causèrent ensemble, de manière à être entendues : elles énuméraient les services que rendrait à la religion l’auteur du Génie du Christianisme… Il ralentit sa marche, s'arrêta devant une planche de livres, croisa les bras, dit : « Et ces trente volumes qui me regardent en face, que leur répondrais-je? Non, non, ils me condamnent à attacher mon sort à celui de ces misérables! Qui les connaît, qui les méprise, qui les haït plus que moi? »

Il se lança dans une longue diatribe contre les princes et la cour. Telle fut sa véhémence que Mme de Boigne en frissonnait. Le jour tombait, un jour tardif d’été. Seule restait bien éclairée la tête que coiffait le madras rouge et vert. Mme de Boigne la

trouva satanique. 18