Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

VIE DE SOCIÉTÉ ET DE FAMILLE. 301 qu'il pouvait avoir payé d’une conversion à l’orthodoxie grecque les faveurs de la Russie la mettait hors d'ellemême. Lors des bruits répandus à cet égard, elle sollicita de sa part un démenti public, et devança même ce démenti, afin de ne pas laisser planer sur son nom le soupcon d’une apostasie.

Aux lettres de sa mère, d’Antraiques répondait assez irrégulièrement, la difficulté des communications lui servant d'excuse. «J'aime gratis », lui disait-elle, et il lui laissait croire vrai ce mot douloureux et charmant. Il sentait du moins avoir payé par l'indifférence et l’ingratitude les services rendus ; il reconnaissait ses services actuels en lui donnant pleins pouvoirs pour ses affaires, en ratifiant d'avance ses actes, en laissant à sa disposition ce qu'elle avait pu recueillir de leur ancienne fortune (1). Parfois, en lui écrivant, il subissait la nostalgie de la jeunesse lointaine et de la première patrie, et il exprimait ses regrets avec une vivacité que nous devons croire sincère, même dans sa bouche. Cet homme, à qui sa mère n'avait pas vu verser une larme depuis l’âge de quinze ans, en était venu à s’attendrir, à pleurer devant l'évocation de certains souvenirs : « Vous auriez pitié de moi si vous étiez témoin de mes regrets sur le temps où nous étions à Laulagnet et à la Bastide. Certes, je sais combien il y

(1) Le préfet de l'Ardèche, par arrêté du 27 fructidor an IX, avait fixé le montant des créances de Mme d’Antraiques sur l'Etat. Il était alloué à la mère de l’émigré, en vertu des lois d’alors, 1%,602 liv. 46 s. 6 d., à prendre sur les biens de son fils. Cette somme représentait la pension viagère de 2,600 livres qu’elle tenait de son contrat de mariage, et le legs fait par elle à son mari de la jouissance du domaine de Laulagnet.

D’après cet arrêté, Mme d’Antraigues était née à Grenoble, le 28 juillet 1737. Pen,