Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

302 CHAPITRE SEPTIÈME.

avait d’ennuyeux, mais cela n’en éloigne pas mes souvenirs, et le plus ennuyeux serait reçu par moi à bras ouverts. Dieu n’a pas voulu que nous ne nous revoyions pas. Que de choses à nous dire! Ma femme ne me comprend pas sur une multitude de mes anciens souvenirs ; elle me croit fol d'y penser et d'en pleurer, mais nous, nous nous entendrions... » Et il ajoutait : « Adieu, l'unique amie qui me reste en ce monde... Je n’en ai jamais eu de véritable qu’elle seule. Si elle pouvait voir mon cœur, elle se trouverait trop vengée du passé par mes regrets (1)... »

Au printemps de 1804, Bonaparte fit défendre à Mme d’Antraigues d'écrire à son fils, et celui-ci de son côté dut se taire pour ne pas la compromettre. Quelques nou velles passèrent encore de part et d'autre par l'entremise des amis de Paris, puis un peu plus tard quelques lettres. La vieille comtesse s’éteignit à Montpellier le 19 avril 1806, sans qu'il y eût entre elle et son fils, autrement que par la pensée, échange d'adieux et de bénédictions.

Au milieu de ses spéculations politiques, de ses distractions studieuses ou intimes, d’Antraigues souhaitait obtenir ailleurs qu'à Dresde une place indépendante, propre à assurer le repos de sa vieillesse et à récompenser ses services. Il se disait, d'autre part, que l'empereur Alexandre, tant qu'il n'aurait pas rompu avec la France, ne ferait rien pour lui, afin de ne pas accélérer la rupture, et qu'il le sacrifierait s'il se réconciliait avec elle. Sa situation lui semblait, avec raison, subordonnée à la faveur de Czartoryski, et Czartoryski pouvait d'un jour à l’autre céder la place à quelque Russe ennemi à outrance des étrangers.

(4) D’Antraigues à sa mère, 16 septembre 1803. (B. D.)