Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

320 CHAPITRE HUITIÈME.

envoyait une bague, comme à son départ de Vienne, en signe de satisfaction ; de plus, sa pension annuelle était doublée, son voyage payé, et son fils autorisé à le suivre, tout en restant attaché à la légation de Dresde. Enfin, Czartoryski le recommandait chaudement au baron de Nicolaï, chargé d’affaires russe à Londres, et lui adressait à lui-même, avec ses adieux, les témoignages les plus expressifs d'amitié et de reconnaissance.

Le 2 août, d'Antraigues quitta Dresde avec sa famille, laissant croire à ses amis qu'il partait pour la Russie; ses papiers avaient déjà passé la mer quelques mois auparavant. Il était temps, s’il ne voulait pas être enlevé et fusillé comme allait l'être un pauvre libraire de Nuremberg, Palm, coupable, non d’avoir écrit, mais simplement vendu des brochures contre Napoléon. À leur entrée à Dresde, les Français recherchèrent en effet le fugitif, mais celui-ci était déjà bien loin sur la route de Londres (1). :

Avant de quitter le continent, il revit au passage un ami de la veille et un ami d'autrefois, Jean de Müller à Berlin, d'Angiviller à Hambourg. Le premier, heureux de le revoir, le conduisit en pèlerinage à Potsdam et à Sans-Souci, et en visite chez les illustrations du jour, chez Humboldt et chez Ancillon. Le second évoqua devant lui les souvenirs de Versailles et de l’ancien régime. Le présent fut aussi l’objet de leurs entretiens. D'Angiviller, émigré irréconciliable et néanmoins à bout d'illusions, n'osait croire au succès de la Prusse, et avouait que Napoléon entendait mieux ses intérêts que tous les rois de l'Europe. Jean de Müller, idéologue et Allemand par l'imagination, voyait déjà les peuples sou-

(1) Saint-Priest à d’Antraigues, 2 février 1807.