Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

322 CHAPITRE HUITIÈME.

alors qu'il demandait à être présenté à la cour comme gentilhomme russe. Nicolaï, comme Razoumovsky à Vienne et Khanikov à Dresde, flaira un auxiliaire gênant dans cet intrigant cosmopolite, et Le tint à l'écart (1).

Deux envoyés extraordinaires de Russie se succédaient alors à Londres, le comte Paul Strogonov et le comte Alopéus, ce dernier venant de Berlin. Le premier allait rentrer à Pétersbourg, suivi de près, disait-on, par un envoyé anglais, le marquis de Douglas. D'Antraigues parvint sous divers prétextes à se frayer accès jusqu'à cet ami de Czartoryski. Il s'offrait en même temps, il imposait presque ses avis au ministère anglais. Le publiciste à deux faces subsistait en lui, sa main droite toujours active, toujours tendue, désirant en quelque sorte ignorer ce que recevait sa main gauche. À Venise, il s'était partagé entre le roi de Madrid et le roi én partibus de Vérone; à Dresde, entre le cabinet de Vienne et le cabinet de Pétersbourg; à Londres il allait essayer de mériter à la fois sa pension russe et une pension anglaise, tâche infiniment délicate et promptement équivoque, fatale à ses intérêts et à sa réputation, comme il allait une fois de plus l’éprouver.

Dès le lendemain de son arrivée, il s'était fait valoir ici et là avec son aplomb ordinaire. La Russie, à l'en croire, n'avait pas de secrets pour lui; il avait été mélé aux plus délicates négociations, entre autres à celle du divorce entre le grand-duc Constantin et sa femme; il correspondait directement avec le cabinet impérial, et certains diplomates usaient de son intermédiaire pour faire parvenir leurs avis au souverain. Il pouvait enfin se

(2) Nicolaï à S. Woronzov, 47 septembre 1806 et 27 janvier 4807. (Archives Woronzov, t. XXII, p. 327 et 377.)