Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

324 CHAPITRE HUITIÈME.

attendre de leurs alliés. Bien mieux, il prend l'attitude d'un homme en mesure de désigner des conseillers à Alexandre. Budberg, le successeur de Czartoryski, le destinataire de sa correspondance quasi officielle, lui semble manquer de caractère et se rendre suspect par son antipathie avouée pour la Suède et la Prusse. Il voudrait, et il essaye de faire partager sa conviction à Londres, voir Markov arriver aux affaires sous l'influence anglaise, afin que la paix avec Napoléon ait moins de chances de se conclure.

Celui qui disposait ainsi des ambassades et des ministères n’hésitait pas à offrir au marquis de Douglas des renseignements rédigés sur le ton de véritables instructions diplomatiques; et ces renseignements, relatifs à une cour, à un pays qu'il n'avait jamais vus, montrent comment il savait s'informer et juger les informations d'autrui. Il déclare Alexandre toujours hanté par les rêves généreux du commencement de son règne, prêt à renier le partage de la Pologne et à terminer une guerre qu'il désapprouve du fond du cœur et où il n’a trouvé que des humiliations. Il voit déjà les Vieux-Russes protestant contre la paix dans leur sanctuaire national de Moscou, et néanmoins s’empressant d'en jouir dans l'auberge cosmopolite de Paris. Cette paix lui semble malgré tout possible, même prochaine, si Napoléon ne tente pas la restauration de la Pologne et l’éviction des Russes propriétaires des starosties confisquées. C'est ce qu'il faut à tout prix éviter. On l'étonnerait bien si on lui rappelait que dans sa jeunesse, sur place, il a gémi sur le partage de 1772 et en a flétri Les auteurs (1).

(1) À Canning et à Grenville, novembre 1806. (B. M., Add. mss. 31230, f* 175 et suiv.)