Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

326 CHAPITRE HUITIÈME,

Majesté, lui écrivait Roumianzov, ne livre point l'intérêt de son empire aux passions d’un étranger. Elle prescrit à ses ministres de cesser toute correspondance avec vous. Elle vous dégage de son service ainsi que M. votre fils, et vous retire à tous deux le traitement que vous devez à ses bontés (1). » D'Antraigues eut beau protester, aflirmer que son traitement était moins une rémunération de ses services actuels qu'une récompense de ses services passés. On le punit de cette réclamation en lui retenant, malgré une promesse formelle, les quartiers échus de ses appointements, depuis quatorze mois, tant sur le collège des affaires étrangères que sur le ministère de l’instruction publique.

Que s’était-il passé?

D’après Armfelt, Roumianzov, qui faisait à d'Antraigues l'honneur de l'appeler son plus grand ennemi, s'irrita de ce qu'il avait écrit à l'empereur une lettre qui n'avait point passé par ses mains, et qu'Alexandre lui montra dans un moment d'expansion. À en croire Roumianzov lui-même, d'Antraigues avait adressé à Kourakine, le 12 février 1808, une lettre confidentielle de nature à choquer l'empereur, à qui elle fut communiquée par le destinataire. Kourakine ayant été un des signataires du traité de Tilsitt, cette lettre contenait sans doute une critique acerbe, peut-être personnellement blessante pour Kourakine, de la nouvelle politique russe, et Kourakine, personnage aussi vain que médiocre, l'aurait, pour se venger, transmise à son maitre. Quoi qu'il en soit, vu l'absence de la pièce incriminée, il est

(1) Roumianzov à d’Antraigues, 1% juillet 1808. (A. P.) L'année suivante, à pareille date, d’Antraigues envoyait une longue lettre de protestation et de réclamation qui resta sans réponse.