Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

ÉTABLISSEMENT EN ANGLETERRE (1806-1807). 327

difficile de juger si la peine était en proportion avec le délit. On voit seulement que d'Antraignes tombait dans un piège où d’autres étaient déjà tombés sous ses yeux, même avec sa connivence : témoin La Vauguyon auprès de Louis XVIIL, et Panine à la cour de Russie. Lorsque, quatre ans auparavant, il révélait à Czartoryski l’indiscrétion épistolaire qui avait causé la disgrâce de Panine, il ne se doutait guère qu'il serait, lui serviteur officieux et subalterne, victime d'un caprice du même genre. Alexandre [*, tout libéral qu'il voulait paraître, ne supportait pas la critique.

En définitive, le prétexte de cette exécution fut, ou une lettre témérairement écrite au souverain, ou une lettre trop vive adressée à un ami indiscret. La véritable cause était la contradiction qu'on supposait désormais à d’Antraigues entre ses sentiments et ses devoirs. Il continuait à haïr le nouvel ami d'Alexandre, et il s’attachait à l'Angleterre, devenue l'ennemie du maitre qu'il eût voulu garder.

Un bruit singulier se répandit alors : il aurait vendu au gouvernement anglais, en retour d'une forte pension, la copie des articles secrets du traité de Tilsitt. Cette supposition, acceptée comme un fait acquis par tous les biographes, ne supporte pas l'examen. Ce n'est qu’à Dresde qu'il eût pu surprendre un secret aussi important, et lorsque les deux empereurs se rencontrèrent sur le Niémen, il était déjà depuis de longs mois en Angleterre, et privé des relations propres à lui valoir une semblable aubaine. Qui sait, d’ailleurs, si cette légende n’a pas été inventée pour justifier, aux yeux de certaines gens, la facilité avec laquelle on avait sacrifié d’Antraigues aux ressentiments toujours vivaces de Napoléon? Ce qui trahit au moins de la part d'Alexandre quelque regret, quelque