Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

332 CHAPITRE HUITIÈME.

Puisaye éfait, comme d’Antraigues, un aventurier de haute mine et de fier langage, saturé de mécomptes, rempli néanmoins d'illusions, osant dire encore en 1807 qu’il disposait de deux cent mille hommes en Bretagne. Il aspirait à la direction exclusive du parti royaliste; ses ambitions, ses ressentiments, jusqu'à ses vanteries, le rapprochaient au moins pour un moment de l’ancien conspirateur de Venise. Il se plut à oublier comment le nouveau venu l'avait desservi auprès de Louis XVIII et de d’Avaray, et il lui écrivait, le T mars 1808, ces lignes que le destinataire eût pu lui renvoyer signées de sa main pour foute réponse : « Je crois bien fermement que la dernière heure de l'Europe à sonné, que l’Amérique héritera de ses dépouilles, et que le temps approche où les curieux du Nouveau Monde viendront chercher les débris de l’industrie et des arts sur les ruines de nos capitales, comme nous avons été les chercher sur celles d'Athènes et d'Alexandrie. Ce temps, ni vous ni moi nous ne le verrons, mais vous savez aussi bien que moi que c’est le cercle tracé à la grande fourmilière que nous avons l’impertinence d'appeler le monde. Tout mon chagrin est d’avoir été condamné à une longue vie dans un siècle où je n'ai eu à voir que de petites choses et de petits esprits. Vous m'avez en quelque facon réconcilié avec mon espèce, mais je vous ai rendu justice, car je n'ai cessé de vous considérer comme un étranger chez des sauvages (1)... »

Fuir les sauvages d'Europe, aller rétablir leur fortune chez les sauvages d'Amérique, fut en effet un projet agité entre eux vers la fin de 1807. Il s'agissait de de-

(1) Puisaye à d'Antraigques, 7 mars 1808. (A. F., France, vol. 6%1, f 239.)