Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

L'ASSASSINAT (1812). 345 l'épouse qu'il s'était choisie, allait-il voir la prophétie s'accomplir jusqu'au bout?

Il lui échappa de dire plusieurs fois qu'il pressentait quelque grand malheur dans sa maison. Ce malheur arriva le 22 juillet 1812. Napoléon venait de tenir à Dresde sa cour plénière de rois; il entrait en Russie pour achever la conquête de l’Europe et y trouver l'écueil de sa prodigieuse fortune. D'Antraigues avait gémi sans scrupules sur nos victoires; il ne vit pas du moins les flammes de Moscou, et n'eut pas à se réjouir de nos désastres. Il allait partir pour Londres; il descendait son escalier à la suite de sa femme déjà montée en voiture, quand un domestique italien nommé Lorenzo, congédié de la veille, surgit à quelques pas de lui et lui tira un coup de pistolet qui lui effleura les cheveux; puis, courant à travers la fumée jusqu’à la chambre du comte, il détacha d'une panoplie un poignard, revint à son maitre, qu'il frappa au-dessus du cœur; il se jeta ensuite sur Mme d’Antraigues qui rentrait au bruit de la détonation, et lui enfonça son poignard dans le sein. Elle tomba à ses pieds et expira presque aussitôt. D'Antraigues, après avoir fait quelques pas dans la rue, remonta en chancelant et en perdant tout son sang jusqu'à sa chambre; il tomba la face la première sur son lit, où il vécut encore une vingtaine de minutes. Le cocher, qui s'était précipité de son siège à la poursuite de l'assassin, le trouva étendu aux pieds de sa principale victime, la tête fracassée d’un coup de pistolet (1).

Ce crime mystérieux, inattendu, mit un instant en

(L) Récit de l'abbé Péricaud. (4. N., F7 6455.) — Cf. le Moniteur de 1812, f* 855, 870, 897 et l’Annual Register, vol. LIV, p. 94-95.