Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

346 CHAPITRE HUITIÈME.

émoi le monde politique à Londres. Une enquête judiciaire, où comparut le cocher, unique témoin, aboutit à déclarer constant le doublé assassinat et le suicide de l'assassin. Le gouvernement fit mettre provisoirement le séquestre sur les nombreux papiers entassés dans la maison mortuaire ; il est permis de croire que Louis XVIII, prévenu par Bertrand de Moleville, n'avait pas été étranger à cette mesure.

Plusieurs se demandèrent quelle avait étéla cause première de cet attentat. Était-elle politique? éfait-elle simplement domestique? Quelques-uns soupçonnèrent les ministres anglais d’avoir fait disparaître un homme dont ils craignaient je ne sais quelles révélations compromettantes; il suffit de mentionner, sans la discuter, cette imputation sans preuves et sans vraisemblance. D'autres firent remarquer que Lorenzo, déserteur de l’armée française en Espagne, pouvait bien être un affidé de la police impériale. Jules d’Antraigues n’a jamais cessé d’accuser Napoléon du meurtre de son père, mais le sentiment filial parlait plus haut en lui qu'une conviction raisonnée. Tout au plus aurait-il pu dire que l’empereur savait son

vieil ennemi prêt à reprendre contre lui pour le compte des Russes ses armes favorites, et qu'il avait voulu mettre ce revenant importun dans l'impossibilité de nuire. Mais, à supposer Wellesley ou Napoléon derrière l'assassin, comment expliquer le suicide de l’homme qui leur aurait servi d'instrument ?

Une autre supposition plus plausible se fit jour. Lorenzo était simplement chargé de tenir l’emploi que d’Antraigues lui-même avait autrefois tenu à Vienne et à Dresde au profit de la Russie, c'est-à-dire de soustraire dans les dossiers de son maître et de communiquer à la police française, à charge de restitution, certains papiers.