Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

348 CHAPITRE HUITIÈME.

rien dans ce dénouement vulgairement tragique, terminant deux vies jouées plutôt qu'écoulées devant le public des théâtres et des cours.

D'Antraigues ne fut guère regretté, même de ses derniers amis. Bertrand de Moleville était brouillé avec lui, et aceusa « l'infamie » de sa conduite; Puisaye parla de ses méfaits et de leur sanglante expiation (1). Seuls peutêtre, le duc et la duchesse d'Orléans, qui pouvaient espérer de lui quelques services, manifestèrent leurs sympathies. En France, Champagny voulut connaître avec quelques détails la fin de son ancien ami, et l'abbé Péricaud lui envoya une relation du meurtre qui demeure, sur cette étrange affaire, le principal document à consulter.

Quel qu'ait été le mobile du crime, d’Antraigues avait disparu dans une embüche homicide, expiation mystérieuse de celles qu'il dressait depuis dix ans dans la presse à la puissance française et à la gloire de Napoléon. 11 avait combattu par la plume, un peu comme ces guérillas qui défendaient alors l'Espagne, se gardant bien d'attaquer en face, s’embusquant à l'écart et tirant à couvert sur leur ennemi. L'Espagnol tombé au coin d'un bois ou dans le fossé de la route pouvait du moins croire que sa mort ne serait pas inutile à l'indépendance de son pays. D'Antraigues, conseiller des Bourbons exilés, puis condoitiere politique au service de l'ancien régime européen, était-il en droit de se rendre le même témoignage? « J'ai intrigué de toutes mes forces, de tous mes moyens, a-t-il écrit un jour à l'empereur Paul; je n'ai perdu ni une occasion, ni un instant (2).»

(1) « Their end has atoned for their numerous mischiefs. » (Puisaye à R-A. Davenport, 7 septembre 1812. — C. P.) (2) D'Antraigues à l'empereur Paul, 11 décembre 4797. (A.F.)