Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

352 CHAPITRE HUITIÈME.

Marie-Caroline avait jadis gratifié son fidèle conseiller ; l'ambassadeur de Louis XVIIE, le duc de Blacas, vengea le duc d’Avaray et fit échouer les démarches du jeune homme. Le roi, qui jugeait sa dignité intéressée à ne pas pardonner, raya obstinément le nom du « traître » lorsqu'il le lut sur une liste de candidats au Conseil d'État ou à quelque autre place officielle.

Jules d’Antraigues eut sa part dans le milliard des émigrés, promptement engloutie, avec ce qui lui restait de fortune, dans des spéculations malheureuses. Dès 1827, le mauvais état de ses finances obligeait sa femme à une séparation de biens (1), et lui-même, l’année suivante, voyait vendre par autorité de justice son mobilier, ainsi que la bibliothèque paternelle. On le trouve transportant successivement son domicile, sous le coup de je ne sais quelles nécessités, à Montgivroux près de Sézanne en Champagne, à Cachan près de Paris, à Nice, puis de nouveau en Angleterre, et enfin à Dijon, où s'’acheva sa vie. Il est difficile de suivre çà et là les traces dérobées avec soin de cette existence qui lui était une perpétuelle humiliation, et dont il voulait faire un impénétrable mystère. Au milieu de ses épreuves, on comprend qu'il ait failli devenir fou de chagrin et de désespoir, qu'il ait cherché l'oubli dans l'ivresse et songé au suicide : « J'ai passé, a-t-il écrit quelque part, six ans de ma vie sans même sourire. »

Après 1830, il trouvait aux Tuileries un prince qui avait été l'ami de son père, et qui l'avait accueilli lui-

(1) À cette date, les inscriptions hypothécaires prises contre lui au seul bureau de Largentière (Ardèche) le montrent débiteur de 372,787 fr. 35 cent., dont 70,000 francs à Mme de Viennois, 74,000 francs au général de Béthisy et 185,000 francs au général Guyot.