Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

APPENDICE. 383

jui aurait pardonné et l'aurait employé. Je suis sûre qu'il l'aurait employé, car, lors de l'amnistie, il disait qu'il le voulait envoyer comme ministre en Suisse. — Mais il n’est pas le seul qui ne soit pas rentré. — Si fait, il est le seul marquant de la première assemblée, et puis Bonaparte veut qu'il rentre, et il rentrera, ou Bonaparte le fera chasser

de Russie. — Mais ce n'est pas s’y trop bien prendre pour le rappeler que d'employer des manières si peu engageantes. — Oh! c'est qu'il est entêté, fier, insolent, opi-

niâtre avec Bonaparte, et ce n'est pas là la manière dont il doit être, étant né Français, avec son empereur; et si Bonaparte le faisait arrêter, il le ferait fusiller sur-le-champ, j'en suis sûre. »

J'étais furieuse, mais elle était toute rouge de colère, et je jugeai tout de suite prudent de ne la pas obstiner, car Bonaparte pouvait entrer, demander ce que c'était, et cela eût élé très dangereux pour moi el inutile pour vous. Je me mis à rire, en lui disant: « Mais, que vous êtes toujours folle! il n’est plus Français; il ne veut pas l'être; c’est une petitesse que de vouloir ceux qui ne nous veulent pas. » Elle en convint et me dit: « Mais Bonaparte est comme cela; il veut le forcer à rentrer comme les autres, et lui est un fou et un entêté, car sa Russie demande la paix. Bonaparte sait bien qu’elle la fera quand il voudra, mais Bonaparte ne veut pas la lui donner de sitôt, et, quand il aura établi ce qu'il veut, soyez sûre que nous aurons la paix pendant cent ans; mais je suis sûre qu'il fera savoir à la Russie qu'il faut renvoyer d'Antraiques, et vous verrez alors quelle figure il fera! — Mais, dis-je, on le jeltera en Angleterre. » Alors la colère la reprit : « Eh bien! nous ordonnerons à l'Angleterre de le chasser ; il faut qu'il rentre, et il rentrera. » Je jugeai inutile de la pousser, car c'est une bête; elle avait pris son pas, et le diable ne l’eût pas arrêtée.

Nous parlâmes de la paix, et je lui dis: «Mais, de bonne foi, croyez-vous à la paix? — Oui, en honneur,