Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

384 APPENDICE.

Bonaparte la veut absolument: mais il la faut faire à son gré, comme de juste, et cela ne se peut pas encore. La Russie ne veut pas la guerre, c’est bien sûr; mais elle veut être comme Bonaparte en Europe, et cela ne sera pas. Bonaparte ne le veut pas. L'Angleterre a pris le dessus en Russie, parce qu’elle donne de l'argent à tous ces gens-là, et que Czartoryski est une bête qui s'est fait ennemi de Bonaparte, et qui à présent voit qu'on l’a atirapé, et que l'empereur de Russie a peur de Bonaparte, et qu'il sera chassé, s’il y a guerre ; il veut la paix, mais Bonaparte ne veut plus qu'il soit là, et il n°y sera pas longtemps. Il nous faut là Kourakine, et il y sera. » Je lui dis : « Mais vous savez bien que j'aime l’empereur de Russie; c'est une passion déclarée, et je vous ai vue tout autre dans l'affaire de Markoff. — Oui, oui, mais il nous a fait des choses très déplaisantes, et Bonaparte est très en colère; mais il saura bien le réduire, lui comme les autres. C’est lui qui est cause que nous ne sommes reconnus ni en Russie, ni en Turquie, ni en Suède, et c'est fort insolent de sa part. Bonaparte élait déjà grand seigneur que ses ancêtres étaient gens de rien. » Elle me vit éclater d'un fou rire; elle ne savait s’il fallait se fâcher, elle se mit à me caresser les mains en me disant : « Voyez cette méchante comme elle rit! » Puis elle me dit qu'on verrait cela, que depuis plus de cinq cents ans, Bonaparte était prince de Treviso. — Eh! où est ce Treviso? — À Venise, soyez sûre de cela. » Et alors elle me fit une histoire où elle se perdait à ne plus savoir ce qu'elle disait, et finit aussi par rire comme une folle, me disant : « Demandez cela à Joseph; il sait l'affaire sur le bout du doigt, et c'est si long que je l'ai oubliée! »

Nous rimes de bon cœur, mais elle m’assura très sérieusement que la Russie demandait la paix par la Prusse et l'Autriche à Bonaparte; qu'elle m'en donnait sa parole d'honneur, que c'était sûr; que Bonaparte le lui avait assuré et l'avait assuré au Pape devant elle; mais qu'ils ne l'auraient qu'à bonnes enseignes; que Bonaparte savait bien