Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

386 APPENDICE.

avait voulu faire; mais il n’est pas méchant, et j'aime mieux le tenir à la chaîne, comme je le tiens, que de le faire périr. Je lui ai fait dire par quelqu'un de sûr qu’il n’eût pas peur de moi, pourvu qu'il fût à mes intérêls.

La Bonaparte voulait renvoyer Talleyrand; je ne voulus pas absolument, parce que .… m'avait prévenue que, ‘cela lui étant arrivé une fois à cause de moi, il élait rentré chez lui comme une tempête, criant à tue-tête contre moi. Je le fis done entrer, et aussitôt je me levai pour embrasser la Bonaparte et sortir. « Oh! non, non, me dit-elle devant lui; oh ! non, Talleyrand n’a pas peur de mes amies ; restez, ou Talleyrand sortira. » Sur cela, Talleyrand, qui a tout l’usage de l'ancien temps et beaucoup d'esprit, me supplia de rester, qu'il était ravi, que c'était un bonheur, qu'il ne voulait pas en priver Mme Bonaparte, qu'il voudrait le partager, qu'il ne désirait rien tant que de parler à Mme Bonaparte devant ses vrais amis, regardant leur présence comme un moyen de la convaincre de tout son dévouement, Et, au milieu de tous ces compliments, tout le monde se rassoit, Mme Bonaparte et moi sur le même canapé, et lui sur une chaise en face de moi.

IL venait lui parler de la République Cisalpine, disant qu’il avait parlé à Melzi et à un de la Consulte dont je ne me rappelle plus le nom, mais le conseil de Melzi; que tous jugeaient qu'il était de l'intérêt de Bonaparte de rapprocher Lucien de Bonaparte; que l'on ne pouvait absolument, sans cela, accommoder le système général que Bonaparte était déterminé à établir en Europe, parce que le caractère de Lucien exigeait qu'il fût placé hors de France, mais dans l'union intime avec Bonaparte; que le divorce qu'on exigeait de lui, on ne l’obtiendrait pas; mais que, dans un an, on élait sûr que, dégoûté de cette femme, il trouverait bien le moyen de s’en défaire, que c'était de ces sortes de choses dont on ne doit pas se mêler. « Oui, dit la Bonaparte, devenue pâle comme la mort, il l'empoisonnera comme il a fait de l'autre. » Talleyrand dit : « Il ne faut