Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

52 CHAPITRE DEUXIÈME

des mandats strictement impératifs, et pour un temps fixé d'avance (1). Ne pourraient-ils pas, loin de leurs électeurs, et réunis, se croire à l’abri de tout contrôle et exercer à leur tour le despotisme, après l'avoir brisé? Sur ce thème, d’Antraiques est inépuisable et ne variera jamais; il pressent, dirait-on, les oublis, les entrainements, les illusions qui se produisirent à l’Assemblée nationale et qui, changeant le siège de la tyrannie, pré«cipitèrent la Révolution (2).

Ennemi du gouvernement représentatif, d'Antraigues -était donc hostile par avance au mouvement de 1789. Bien mieux, quoi qu'il en dit alors, c'était un tenant du passé. Il restait féodal dans l’âme, malgré ses déclamations contre la féodalité. Il avait écrit en tête à tête, non seulement avec Rousseau, mais avec toute une biblio“hèque. L'épigraphe de son livre était la formule hautaine, vieille de cinq siècles, par laquelle le justicier Al'Aragon s'engageait envers son roi : « Nous promettons d'obéir à votre gouvernement, si vous maintenez nos droits et privilèges; sinon, non. »

Or, quel avait été le gouvernement en France, au moins sous les descendants de Hugues Capet? C'est ici que d'Antraigques, laissant les formules tranchantes et abstraites, se posait en érudit, familier avec les vieilles

(D « Si votre doctrine était adoptée, lui disait Mounier, il serait absolument inutile de rassembler les représentants de la nation. Il serait alors beaucoup plus simple de n’envoyer que des cahiers. » (Nouvelles observations sur les Etats généraux, V. 230.) (2) Il se rencontre ici avec Robespierre, qui disait un jour au club des Jacobins : « Que le despotisme n’ait qu'une tête ou qu'il en ait sept cents, c’est toujours le despotisme. Je ne connais rien d'aussi effrayant que l'idée d’un pouvoir illimité remis à une . assemblée nombreuse qui est au-dessus des lois, füt-elle une assemblée de sages. »