Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

60 CHAPITRE DEUXIÈME.

ses lumières, la province sa régénération prochaine, et nous une reconnaissance éternelle. »

Arriva le moment des élections. La noblesse avait à nommer deux députés, et d’Antraigues trouvait devant lui deux concurrents redoutables, les comtes de Vogüé et de Jovyac. Il lui fallait manœuvrer adroitement, pour évincer l’un d'eux. Vogüé passa au premier tour de scrutin. La seconde place fut l'objet de débats passionnés. D’Antraigues fut cependant nommé (4 avril), après un arrangement entre les prétentions en présence (1). Les plus chauds compliments lui vinrent encore d’Espic et de ses amis ; il les accueillit par ces mots, qui montraient bien, cette fois, le fond de sa pensée : « Mon collègue et moi concourrons avec vos députés à la défense des droits du peuple, qui dès cet instant sont à jamais unis à ceux de notre ordre. » C'était vouloir établir entre les privilégiés et le tiers, en dépit de l'affirmation célèbre de Sieyès, une solidarité que la loi autorisait, mais que l'opinion publique avait détruite d'avance.

Peu de jours après, il se mit en route pour Paris. On conte encore dans le pays qu’à son départ de la Bastide la belle Henriette l’accompagna jusqu’au pont de Chastagnet, et que là, avant de se séparer, ils gravèrent leurs initiales sur un noyer, à l'instar des bergers de Florian. D’Antraigues fermait sur cet adieu idyllique la première partie de son existence; il ne devait plus revoir ni Marianne André ni le Vivarais, et il demeurait condamné aux travaux forcés de la politique pour le reste de sa vie.

(1) Derrcuires, Histoire manuscrite d’Aubenas. — Ses collègues du clergé étaient Chouvet, curé de Chomeyras, et l'abbé de Pampelonne, archidiacre de Viviers. Ceux du tiers étaient Espic, avocat à Aubenas, Madier de Montjau (de Bourg-Saint-Andéol), DuboisMaurin et Defrance, avocat à Privas.