Zenit
ans de vie aboutissent à un mur, un vrai mur de pierres, et tout est à recommencer si on en a encore le courage. Le carrefour est un germe de routes qui fusent vers ailleurs. Chariot vagabond soulève la poussière avec ses grands souliers, II a tourné le dos. Sur son dos il a mis un baluchon qui ne contient peut-être qu' une brique, pour se défendre des mauvaises rencontres. Il s' en va. S' en aller. Ne dites pas : Symboles et Naturalisme, Les mots n' ont pas encore été trouvés et ceux-là jurent. Je souhaite qu' il n’y en ait pas. Images sans métaphores. L' écran généralise et détermine. Il ne s' atfit pas d’un soir, mais du soir, et le vôtre en fait partie. Le visage, et j'y retrouve tous ceux que j'ai vus, fantômes de souvenirs, La vie se morcelle en individus nouveaux. Au lieu d' une bouche, la bouche, larve de baisers, essence du tact. Tout frémit de maléfices, Dans une nature nouvelle, un autre monde. Le gros plan transmue 1' homme. Toute ma pensée, dix secondes, gravite autour d’ un sourire. Majesté sournoise et muette, lui aussi pense et vit. Attente et menace. Maturité d' un reptile aérien. Les mots manquent, les mots n' ont pas été trouvés. Qu'aurait dit Paracelse ? Le philosophie du cinéma est toute à faire, L' art ne se doute pas de 1' éruption qui menace ses fondements, La photogénie n' est pas qu'un mot à la mode, et galvaudé. Visage de la beauté, c est un goût des choses. Je le reconnais comme une phrase musicale aux menaces de sentiment qui l' accompagnent, Secret, on le foule souvent aux pieds comme cette qualité milliardaire dont une houille inaperçue barde le sol. Notre oeil, sauf une très longue habitude, ne parvient pas à le découvrir directement. Un objectif le centre, le draine et distille entre ses plans focaux la photogénie. Comme l' autre cette vue a son optique. Les sens, il est entendu, ne nous donnent de la réalité que des symboles, métaphores constantes, proportionnées et électives- Et symboles non de matière qui donc n’ existe pas, mais d’ énergie, c’ est à dire de quelquechose qui en soi-même est comme s‘il n'était pas, sauf en ses effets quand ils nous touchent. Nous disons : rouge, soprano, sucré, chypre, quand il n’y a que vitesses, mouvements, vibrations. Mais aussi nous disons : rien, quand le diapason et la plaque et le réactif, eux, recueillent des témoignages d' existence. Le machinisme oui modifie la musique en y introduisant des modulations de complaisance, la peinture en y introduisant la géométrie descriptive, et tous les arts, et toute la vie en y introduisant la vitesse, une autre lumière, d' autres cerveaux, ici, crée son chef d' oeuvre. Le déclic d' un obturateur fait une photogénie qui, avant lui, n’ existait pas. On parlait de nature vue à travers un tempérament ou de tempérament vu à travers la nature. Maintenant, il y a une lentille, un diaphragme, une chambre noire, un système optique. L' artiste est réduit à déclancher un ressort. Et son intention s’ éraillé même aux hasards. Harmonie d’ engrenages
satellites, voilà le tempérament. Et la nature aussi est autre. Cet oeil voit, songez-y, des ondes pour nous imperceptibles, et l' amour d' écran contient ce qu'aucun amour n'avait jusqu' ici contenu, sa juste part d'ultra-violet. Voir c'est idéaliser, abstraire et extraire, lire et choisir, transformer. A l'écran nous revoyons ce ~ue le ciné a déjà une fois vu : transformation double, ou plutôt parce qu'ainsi se multipliant, élevée au carrée. Un choix dans un choix, un reflet de reflet, La beauté est ici polarisée comme une lumière, beauté de seconde génération, fille, mais fille née avant terme, de sa mère que nous aimions de nos yeux nus, et fille un peu monstre. C'est pourquoi le ciné est psychique. Il nous présente une quintessence, un produit deux fois distillé. Mon oeil me procure 1' idée d’une forme ; la pellicule contient aussi 1' idée d' une,forme, idée inscrite en dehors de ma conscience, idée sans conscience, idée latente, secrète, mais merveilleuse ; et de l'écran j'obtiens une idée d' idée, l' idée de mon oeil tirée de 1' idée de 1' objectif, (idée)², c’ est à dire tellement cette algèbre est souple, une idée racine carrée d' idée. L'appareil de prises de vue est un cerveau en métal, standardisé, fabriqué, répandu à quelques milliers d' exemplaires, qui transforme le monde extérieur à lui en art, L' appareil de prises de vue est un artiste, et ce n’est que derrière lui qu'il y a d’autres artistes : metteur en scène et opérateur. Une sensibilité enfin est achetable, et se trouve dans le commerce, et paye des droits de douane comme le café ou les tapis d’ Orient. Le gramophone est de ce point de vue raté ou simplement à découvrir. Il faudrait chercher ce qu’il déforme et où il choisit. A-t-on enregistré sur disque le bruit des roues, des moteurs des halls de gare ? On pourrait bien s' apercevoir un jour que le gramophone est fait pour la musique comme le ciné pour le théâtre, c est à dire pas du tout et qu' il a sa voie propre. Car il faut utiliser cette découverte inespérée d’un sujet qui est objet, sans conscience c'est à dire sans hésitation ni scrupules, sans vénalité ni complaisance ni erreur possibles, artiste entièrement honnête, exclusivement artiste, artiste-type. Un exemple encore. Des observations minutieuses de M, Walter Moore Coleman (Mental Biology, Second Part, Woodbridge and C º , London) montrent qu'à certains moments tous les mouvements (locomoteurs’ respiratoires, masticateurs, etc.) d' une réunion d' individus les plus divers pouvant comprendre des hommes et des animaux, sans être le moins du monde synchrones, admettent un certain rythme, une certaine fréquence soit uniformes, soit dans un rapport musical simple. Ainsi, un jour, tandis que les lions, les tigres, les ours, les antilopes au Zoo de Regent's Park marchaient ou mâchaient leur nourriture à 88 mouvements par minute, les soldats se promenaient sur les pelouses à 88 pas par minute, les léopards et les pumas marchaient à 132, c' est à dire dans le rapport 3 7 2, do-sol, des enfants cou-
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