Bitef

c’est quelqu’un qui doit savoir tout faire: jouer, chanter, danser, etc. comme on l’a longtemps dit. Je ne suis pas sûr que l’acteur doit savoir faire tellement de techniques extérieures au noyau même de ce qui fait qu’il est un acteur. Mais ce qu’il doit travailler, c’est précisément ce noyau-même. L’acteur est le représentant, le porteur des signes du spectacle. Cela implique pour lui un travail sur l’imaginaire, sur son propre corps. Cela implique donc un apprentissage. Je prends un exemple extrêmement simpe, celui où je demande à un acteur de diminuer, au cours d’une représentation, l’intensité vocale de son jeu. Demande tout à fait banale. Je lui dis: tu parles trop fort, essaie de parler moins fort. Il doit être capable de diminuer l’intensité de sa voix sans modifier le rythme gestuel de son jeu. Or il arrive fréquemment, si un acteur n’a pas la formation nécessaire, qu’il parle moins fort et marche du même coup plus lentement. C’est un exemple concret et banal de ce en quoi consiste un travail d’acteur. Eh bien, ce travail s’apprend. Il n’y a rien à faire, ça s’apprend. Je me suis aperçu qu’il y a quantité de choses aussi faciles et aussi difficiles que celles que je viens de dire qui sont des choses qui s’apprennent et qui ne s’apprennent pas forcément très bien sur le tas. Il y aura toujours des gens pour faire exception à toute règle. Mais, justement, il ne peut s’agir que d’exceptions. Ce qui caractérise le travail de l’acteur et aussi du metteur en scène, mais tenons-nous en à l’acteur ce n’est pas le faire, mais le refaire. C’est une notion très importante pour comprendre en quoi consiste le travail artistique. Je dis art, artiste, artistique et cela sans guillemets. Car il j eu toutes sortes de pudeurs. On a parlé de » création «, puis de » production « parce qu’in n’a plus voulu du mot création, lui trouvant un sens théologique. Mais, finalment, le seul mot qu’on n’emploie pas, c’est le mot »art«. Moi je m’y tiens car je vois dans le mot »art«, si je peux faire un peu de pédantisme éthymologique, précisément cette idée de l’aptitude au refaire. Pour ce qui est du faire, à peu près tout le monde est capable, particulièrement pour le théâtre. A peu près tout le monde est capable d’un premier jet, comme cela, une première fois. Ce qui est difficile, c’est le refaire. C’est cela le travail théâtral: c’est apprendre à refaire. C’est apprendre à retrouver les chmins par lesquels on à trouvé une première fois. On voit là un travail qui est tout à fait proche du travail d’écriture, finalement. Mais je n’ai parlé de l’acteur, que du travail de metteur en scène par rapport à l’acteur. C’est très partiel comme définition de sa fonction, Gérard Belloin: Celle-ci rendoie au fond à la question: Qu’est-ce que c’est que le théâtre? Antoine Vitez: Oui, et ce n’est pas facile d’y répondre en quelques minutes. Gérard Belloin; Je souhaiterais que tu essaies de répondre à cette question en pensant à nos lecteurs. Nos lecteurs sont des gens qui »font de la politique«, comme on dit. C’est-à-dire qu’ils se proposent d’avoir une influence sur leurs concitoyens. D’une certaine manière, tu te proposes également, par ton métier, d’avoir une influence sur nos concitoyens?

Antoine Vitez : Oui, je crois. Je I’ espère. Gérard Belloin: Mais une influnce qui n’est pas du même ordre que celle que peut exercer le militant politique. Antoine Vitez; Non, et à ce proposée voudrais d’abord dire un most sur la question du nombre. Même lorsque le théâtre rassemble des publics importants, comme, par exemple, la Comédie Française ou comme a pu le faire autrefois le T.n.p. se Jean Vilar, son public ne représente jamais beaucoup de monde. C’est statistiquement faible en chiffres absolus. Et pour le théâtre, ça se passe très différemment de ce qui se passe avec la peinture, par exemple, où une oeuvre qui a pu n’être vue au début que par trois personnes peut l’être ensuite par des millions. Tandis que pour le théâtre, une fois passé le temps des représentations, c’est fini. Car une des caractéristiques du théâtre, c’est son caractère éphémère. Le théâtre est donc du à chaque fois par un petit nombre de personnes. Des gens peuvent donc se dire : à quoi bon un art qui touche statistiquement si peu de spectateurs? On ne peut repousser cette objection avec mépris. Il faut effectivement nous demander si nous ne faisons pas une chose qui est de venue tout à fait une chose luxueuse. Je pense à ces petits groupes qui, à Paris, font de la calligraphie chinoise. Ça ne débouche sur rien. Sauf sur le plaisir que prennent les gens qui le font et ce n’est pas négligeable. C’est aussi une activité de culture. Je crois quand même que le théâtre c’est plus que cela. Je crois que le théâtre agit à l’intérieur du champ des forces idéologiques qui jouent un grand rôle dans l’eévolution de la société française. Je dis » idéologique «; ce mot pour moi recouvre l’esthétique, la politique, la philosophie, etc. bref, l’ensemble du mouvement des idées. Ce qui se passe dans ce que j’appelle ce champ des forces idéologiques ne s’évalue pas seulement en nombre de personnes. Des phénomènes peuvent y jouer un rôle important, même si ce sont des phénomènes statistiquement peu massifs. Je crois honnêtement que c’est le cas du théâtre. Gérard Belloin; Mais le théâtre n’a-t-il pas aussi des effets indirects. Antoine Vitez : Le théâtre joue un rôle direct sur les personnes qui peuvent le voir, l’apprécier. Il jour également un rôle indirect sur beaucoup d’autres personnes. Il a des effets qui pourront se retrouver plus tard dans des expressions artistiques beaucoup plus larges comme la télévision, la littérature, le cinéma, etc. Je me représente le théâtre comme une sorte de source qui est peut-être faible au départ, mais qui, se mêlant à d’autres eaux, grossit et irrigue la v'e publique, la vie intellectuelle publique. Je pense par exemple à ce que fait Chéreau, pour citer quelqu’un de très différent de moi. Je crois qu’on ne peut plus voir maintenant certains images de la même façon et que son travail a, par conséquence, une grande résonance littéraire, cinématographique... . Je suis certain que sans qu’on sache vraiment exactement comment ça se passe, ça joue un rôle considérable. Gérard Belloin: A plusieurs reprises tu as employé à propos du théâtre, le mot »images«. Est-ce que ça ne va pas contre une certaine idée reçue selon laquelle le théâtre c'est